Ulysse ou le voyage intérieur du héros

Parmi les grands récits, prototypes du voyage initiatique, l’Odyssée tient une place essentielle et en même temps singulière. Le voyage d’Ulysse illustre pleinement le voyage intérieur, initiatique, auquel chaque être humain est convié pour peu qu’il soit attentif à ce qui se présente. Ulysse continue de voyager à travers chacun de nous.

Dès les premières pages, Jean Bouchart d’Orval note que le féminin est partout dans les textes homériques : « L’homme, dit-il, on le voit bien, n’évolue qu’au contact de la femme, ou du moins lorsqu’il est profondément touché par l’élément féminin. ». Athéna ne cesse d’intervenir dans l’Odyssée, c’est finalement elle qui assure le processus initiatique.

Jean Bouchart d’Orval nous invite à restaurer l’alliance avec les dieux antiques en explorant profondément les mythes, en traversant la surface que sont les histoires pour ouvrir le double fond de l’Odyssée. En évoquant le panthéon grec et les dieux de l’Inde par leurs communes fonctions archétypales, par le recours à la langue, grecque, ou sanskrite, Jean Bouchart d’Orval éclaire les mythes et restitue leur actualité, d’abord dans la relation privilégiée entre le héros et la grande déesse, afin de mieux cerner le sens du voyage :

« Car seul un mortel qui explore, voyage et expérimente la vie, faite d’identification personnelle, de situations innombrables, de désirs et de peurs est apte à rentrer chez lui, c’est-à-dire réaliser sa vraie nature sans bornes et intemporelle. C’est le sens de l’épisode où Ulysse refuse l’offre de Calypso de vivre avec elle une vie de plaisirs, de délices, à l’abri de tous les soucis des épreuves et des contrariétés ; la nymphe lui offre même l’immortalité s’il demeure avec elle sur son île. Ulysse refuse ! Il choisit d’aller au bout de la vie de mortel afin de rentrer définitivement dans sa vraie Patrie. Il est celui qui a conservé ardente et claire la flamme, aussi est-il le seul à avoir retrouvé sa Patrie : tous ses compagnons ont perdu de vue leur véritable objectif de départ et n’y sont jamais arrivés. »

Jean Bouchart d’Orval revisite pour nous un grand nombre d’épisodes du voyage d’Ulysse dont certains qui semblent sans importance comme celui du palais d’Alkinoos qui voit Ulysse supplier la reine en lui prenant les genoux car « Le féminin oriente de façon invisible l’action visible. ». La voie héroïque implique la lecture des signes afin de « naître d’en haut » là-même où il est, dans la grotte du monde.

« C’est devant une telle grotte que le héros débarque. Il a pris la voie des deux fois nés. Pour cette nouvelle naissance, il devra tout abandonner de l’ancienne. Ulysse se réveille de son sommeil et Athéna lui apparaît, lui révèle tout et le conduit à la grotte des Nymphes, où elle lui dit de déposer toutes ses richesses pour les préserver. Mettre ses richesses dans le monde, c’est les perdre ; les mettre dans l’invisible, c’est les préserver. L’homme qui veut garder sa « vie » la perd, celui qui la sacrifie la gagne. Le Poète dit que tandis que le héros s’accomplit, la Déesse explore tous les recoins de la « grotte sombre et brumeuse ».

Le voyage initiatique, héroïque, permet de faire tomber les masques et de révéler notre véritable nature, originelle, ultime, atemporelle en fait, toujours présente derrière les oripeaux de la personne. Ce n’est qu’affranchi des conditionnements, y compris pour Ulysse de celui de la vengeance, que nous retournons pleinement en Ithaque.

« La longue errance du héros a pris fin, conclut l’auteur : il est parvenu en sa Patrie et a vu l’inutilité, la lourdeur et la douleur tomber sous les flèches lumineuses et rapides de son regard désencombré, sans peur et sans bornes. Le Poète nous raconte qu’à la fin les serviteurs et les servantes nettoient tout de fond en comble. Au terme de l’histoire, le palais du héros est aussi propre et impeccable que lorsqu’il s’élança sur la mer la première fois…

Car il ne nous est jamais rien arrivé. »

L’érudition et la belle plume de Jean Bouchart d’Orval se mettent ici au service d’un texte fondateur, non seulement de notre civilisation mais encore de l’initiation. Les explorations, classiques ou inédites, conduites dans ce livre éclairent l’essentiel porté par l’Odyssée, cet essentiel qui caractérise le voyage initiatique.

Source: La lettre du crocodile  

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