Le titre de l’ouvrage reprend une parole d’Arnaud Desjardins, une parole insistante recueillie par ses disciples dont les auteurs de ce livre.
L’intérêt de l’ouvrage, souligné par Gilles Farcet dans sa préface est de rendre compte d’une véritable sadhana, de la mise en œuvre d’un procès gradualiste aussi rigoureux que subtil, inscrit dans un courant traditionnel connu.
« C’est une chose que de dispenser la bonne parole, c’en est une autre, que de consentir à accompagner, et de ce fait à inévitablement servir de nourriture aux projections, attentes, résistances et manœuvres inconscientes de personnes investies dans ce que le poète René Daumal voyait comme la vraie guerre sainte. »
Il est question ici de compagnonnage traditionnel et d’amitié spirituelle. Sophie et Eric Edelmann ne tentent pas de transmettre la parole ou l’enseignement d’Arnaud Desjardins, d’autres l’ont fait avec plus ou moins de bonheur, mais de restituer le fruit de leur travail avec cet enseignant qui fut proche de Prajnânpad, fruit qu’ils partagent avec d’autres.
Le livre est rythmé, de chapitre en chapitre par les paroles de Sophie et d’Eric, alternativement. Ce double regard qui tend à se fondre en une seule orientation permet sans doute de développer une sensibilité et une finesse autre que celle portée par un monologue.
Les questions essentielles du lâcher-prise, du désir, de la culpabilité, de l’émotion, du mensonge, de la négativité, de la compassion, de l’intention… sont ainsi abordées au plus près de l’expérience quotidienne. Car il s’agit bien de développer la voie au sein même du monde, au cœur de la crispation dualiste :
« … il est non seulement possible de mener une sadhana tout en restant dans le monde, mais que cette situation est même privilégiée pour entreprendre une réelle transformation de son être. Les circonstances quotidiennes, les relations, les défis inhérents à la vie moderne, tout devient l’occasion d’une pratique consciente et d’une plus grande connaissance de soi. »
L’émotion est une grande matière de l’œuvre spirituelle, Sophie Edelmann revient à plusieurs reprises sur l’opportunité qu’elle représente pour une réelle « conversion d’un « non » en « oui » ; ce retour à l’unité avec l’énergie émotionnelle ».
Elle rappelle au lecteur combien Arnaud Desjardins accordait d’importance à ce point :
« Arnaud Desjardins l’a inlassablement transmis dans ses propres mots, il parlait avec éloquence de ce qui était devenu pour lui LA clé et qu’il nous présentait comme la sortie presque magique du labyrinthe : " Non pas moi sans mon émotion ", mais " mon émotion sans moi " ». Il y mettait toute la force de sa conviction pour que nous comprenions que c’était LA révélation qui pouvait changer une existence. S’il n’y a plus de « moi », il n’y a plus d’opposition, de confrontation. Sans plus personne pour souffrir, pour prendre la souffrance personnellement, l’émotion n’est plus ressentie comme douloureuse, elle est vécue comme une énergie qui se perd dans l’espace sans rien heurter sur son passage. »
Dans un dernier chapitre, Eric Edelmann fait un parallèle entre l’adhyatma yoga d’Arnaud Desjardins et l’enseignement de Gurdjieff en mettant en vis-à-vis des paroles de ces deux personnalités. Ces « correspondances » ne sont pas surprenantes, l’enseignement pointe toujours dans la même direction, ce qui intéresse ici c’est le ton employé, et le style, souvent proches, comme réponses aux besoins spirituels de l’époque.
Source: La lettre du crocodile