Assieds-toi et tais-toi

Brad Warner est un moine zen Sôto, élève de Tim McCarthy et Gudô Wafu Nishijima et musicien punk rock. Il traite dans ce livre des enseignements de Dôgen rassemblés dans le Shôbôgenzô. A partir de sa propre expérience, il cherche à « décoincer » le zen de tous les clichés qui l’enferment et le rigidifient, clichés maintenus par les pratiquants eux-mêmes.

Nous sommes un peu dans les traditions de moines fous ce qui n’exclut pas la rigueur de la pratique. Pas de langage pompeux, nous sommes dans une conversation courante où se mêle pertinence spirituelle et considérations populaires. Exemple :

« De quoi parle donc ce Shôbôgenzô ? Le mieux c’est d’aller voir par soi-même les quatre-vingt-quinze chapitres. Mais mieux encor pour le comprendre, c’est d’utiliser la formule que Nishijima donne dans son introduction. En gros, Dôgen établit quatre principes de base pour étudier le bouddhisme. Le premier est ce qu’il appelle « établir l’envie de vérité ». En sanscrit, on appelle ceci bodhicitta, avec la deuxième partie prononcée « Cheetah », comme le meilleur ami de Tarzan – même si jamais je n’ai pu comprendre pourquoi l’avoir appelé comme ça, puisque ce n’est pas un guépard (cheetah en anglais) mais un chimpanzé. Quoi qu’il en soit, bodhicitta signifie qu’on doive considérer la vérité, toute la vérité, rien que la vérité comme but ou critère ultime. Il faut être disposé à accepter ce qui est vrai, que cela nous plaise ou non. Toujours plus facile à dire qu’à faire. »

Voilà le ton du livre, assez rabelaisien, ce qui doit nous alerter sur la profondeur du propos. Brad Warner illustre par la vie même au quotidien ces principes de base, les trois autres, toujours selon Dôgen, étant « la croyance profonde dans la loi de cause à effet », le fait que « notre vie n’est qu’action à l’instant présent » et, enfin la pratique même de zazen qui est finalement seule essentielle.

Il aborde sous ce regard truculent et décalé (ce qui sied particulièrement au zen) les thèmes traditionnels de la posture, de la colère de la haine et de l’amour, du don, du mal, du sexe, du bonheur, de la mort, de dieu… Il décape afin de voir ce qu’il reste. Parfois un joyau, souvent rien.

Revenons sur la question si difficile du mal qui est la meilleure entrée possible pour découvrir une pensée pratique ou une pratique devenue pensée, s’il y en a une.

« Les vrais bouddhistes ne pensent pas que la souffrance humaine soit triviale. Ils consacrent leur vie entière à la soulager. Mais ils le font de façon inhabituelle. Les bouddhistes soulagent la souffrance d’autrui non pas en sortant faire de bonnes actions pour tout le monde – même s’ils se dévouent souvent à faire de bonnes actions pour les autres – mais en maintenant leur propre équilibre. Car ce n’est que lorsque nous sommes équilibrés que nous pouvons faire du bien à autrui. Autrement, on agit dans la confusion au lieu que ce soit à partir de la véritable compassion. »

Mais aussi :

« Il existe une tendance à croire que le bouddhisme est affaire de quitter ce monde de distinction pour un endroit imaginaire nébuleux et mal défini où tout se vaut. Mais en fait, l’idée que tout est un et l’idée que tout est séparé sont également importants. La réalité comprend les deux. Ce qu’il faut, c’est un équilibre des deux vues, et ça c’est difficile à trouver. »

Adopter le point de vue bouddhique ne veut pas dire se retrouver tout béat et dire que tout est un. Il faut des distinctions. Il faut connaître la différence entre son cul et un trou dans le sol, entre les Chips Hostess et les étrons de chiens, entre votre petit copain et celui de votre sœur. Les distinctions sont très importantes. »

Brad Warner remet les idées en place, tranquillement mais efficacement. Il questionne les idées préconçues, fussent-elles superbes, dissout les illusions, appelle à la responsabilité, fait gagner du temps (si temps il y a), aide à construire l’engagement véritable.

« Il est absolument impossible de comprendre le bouddhisme sans la pratique de zazen. On aura beau essayer, cela ne marchera pas. Lisez donc des livres, y compris cette pauvre œuvre débraillée- s’il le faut. Mais quand vous serez prêts à cesser de péter dans les fleurs et à faire l’expérience du vrai bouddhisme, asseyez-vous et taisez-vous. C’est là que se trouve le véritable bouddhisme. »

Source: La lettre du crocodile  

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