Dynamique de la légende en Franc-maçonnerie

Avec cet essai passionnant, Yves Saez nous rappelle que la littérature est une philosophie, une spiritualité ou une métaphysique et veut restaurer le lien entre initiation, notamment maçonnique, et fiction :

« Une société, dit-il, repose sur ses fictions, sur la relation, étroite ou distante, qu’elle entretient avec ses fictions ; elle vaut par le fond d’expériences et de connaissances qui se manifeste en elles, fond qu’elle approuve et qu’elle convoque ; et qui transmet des vérités depuis longtemps admises.

La Franc-maçonnerie repose sur ses fictions. »

Le récit, la narration, la transmission, l’interprétation, sont au cœur du propos d’Yves Saez, tous véhicules d’un imaginaire, parfois poétique, qui constitue la matière d’une transformation et d’une libération.

« Le récit, dit-il encore, est conducteur de vérité. Il est plus ancien que la philosophie. Il est le sol sur lequel s’édifie la philosophie, la terre où elle fut prise, avec laquelle elle fut formée. Où elle retourne, sans cesse où elle retourne. »

Ce procès, très alchimique, ce travail de la matière littéraire, orale comme écrite, est essentiel au travail initiatique et il nous conduit à l’indispensable silence :

« La maçonnerie s’invente et se continue dans cette poétique du silence et du renouvellement. C’est sa plus authentique et sa meilleure occupation. »

La référence à « l’invention » n’est pas anodine, il s’agit bien de passer par l’initiation, de la réplication aliénante du moi à l’invention libératrice du soi.

Yves Saez convoque nombre d’auteurs pour éclairer son propos : Daniel Defoe et son Robinson Crusoé, que nous devrions relire, Rousseau, Platon, Cicéron, Homère bien sûr et cet Ulysse, prototype de l’initié, Euclide et beaucoup d’autres.

Il s’intéresse au livre de Tom Wolson, Le Maçon Démasqué, Ou Le Vrai Secret Des Francs Maçons, Mis Au Jour Dans Toutes Ses Parties, publié à Amsterdam en 1748, à Londres en 1751, ouvrage dans lequel l’auteur relate sa réception au grade d’Apprenti. Il analyse le récit en trois phases : la séparation, l’épreuve et l’alliance. Il met en évidence la force des mots. Exemple avec le traditionnel « qu’il entre » :

« Le subjonctif est le mode de la détermination. Mais il est aussi le mode de la subjectivité et de l’incertitude : dans le même temps qu’il franchit le seuil, le candidat est assiégé par des bruits méconnus et des impressions neuves et envahi par les émotions que ces impressions font naître en lui. Les mots dirigent le monde. La grammaire dit l’intériorité de l’aventure du maçon. »

Nous sommes invités à nous réapproprier le langage et le récit, à ne point rester figer dans la structure de surface du langage pour explorer les structures profondes de l’expérience, chemin vers le réel.

Nous retrouvons ce « qu’il entre » dans le voyage initiatique d’Ulysse lui aussi structuré par la séquence séparation – épreuves – admission (alliance). Le voyage initiatique est toujours un voyage de retour.

« Il a fallu très longtemps, écrit Yves Saez, pour que les hommes s’accordent à la réalité, pour qu’ils la tolèrent et qu’ils identifient leurs peurs et voient Poséidon derrière les vagues furieuses et Hermès dans les messages des immortels et Athéna sous les exploits guerriers. Plus longtemps encore pour qu’ils éveillent leur conscience, et doutent, et s’interrogent sur leurs dieux et les caprices de leurs dieux. Et plus longtemps encore pour qu’ils se libèrent et se désenchantent du divin, et qu’ils éclaircissent et aménagent leur rapport au monde par ce que Claudio Magris désigne :

« une rationalisation inexorable, qui le place (l’homme) et le pousse sur des rails obligés ». »

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