L’Ordre des Francs-jardiniers

L’édition simultanée en langue française et en langue espagnole des rituels de l’Ordre des Francs Jardiniers sous la direction de Howard Doe et Rémi Boyer aux Editions La Tarente et chez Masonica.es Ediciones del Arte Real est une opportunité de revenir sur la spécificité de cette tradition

et sur la dimension métaphysique qu’elle porte à travers les mythèmes du jardin initiatique.

Nous savons très peu de chose sur l’Ordre des Francs-jardiniers, en ses différentes expressions, du point de vue historique et culturel. L’histoire de ce courant reste à écrire et nous invitons nos amis historiens de la Franc-maçonnerie à se pencher sur la question tant cette tradition se révèle adjacente à la tradition maçonnique, même si au cours du premier siècle d’activité de l’ordre il y eut, semble-t-il, peu de doubles appartenances, Francs-jardiniers et Francs-maçons. Il est très probable que dans les archives locales et régionales, en Grande-Bretagne ou ailleurs en Europe, des trésors attendent d’être mis au jour.

Ce fut au XVIIe siècle qu’apparût cette société qui se situe entre la société initiatique et ce que nous désignons souvent par « fraternelle ». En effet, à l’origine, la société semble avoir été fondée pour défendre les intérêts professionnels des jardiniers et propriétaires terriens. C’est en Écosse que nous trouvons les plus anciennes traces de ses activités, plus exactement dans l’East-Lothian. Le XVIIe siècle écossais fut agité par des guerres civiles et religieuses. En même temps, les idées de la Renaissance pénétrèrent progressivement la culture écossaise et notamment celles relatives à l’architecture des jardins. Leur développement conduisit peut-être propriétaires terriens et jardiniers à s’organiser. Progressivement, il apparut sans doute indispensable d’apporter certaines règles dans l’exercice de la profession mais aussi des mécanismes de solidarité, comme il était courant à l’époque dans les corporations. Il semble que des non jardiniers furent invités à rejoindre ces groupements sous le nom de « free gardeners » pour constituer ce que nous appelons aujourd’hui des loges.

Le peu que nous savons sur les activités de l’Ordre vient principalement des archives des loges d’Haddington (1676) et de Dunfermline (1715). La plupart des documents ont trait aux activités économiques des membres et à la régulation de la profession par la mise en place de normes mais aussi d’une éthique professionnelle. Les documents montrent également que les sociétés ou fraternités de jardiniers se sont développées dans toute l’Europe comme pour d’autres professions dans le cadre du Compagnonnage ou hors Compagnonnage. Ces sociétés de jardiniers sont aussi un lieu de partage d’expériences, par exemple sur les greffes, mais aussi sur les découvertes ou les acclimatations de nouvelles plantes apportées par les échanges commerciaux avec les colonies. Les activités des sociétés vont de l’horticulture à l’assurance mutuelle des membres, en passant par l’éducation des enfants. Un document atteste qu’au sein de l’Ancient Society of Gardeners, un département d’horticulture fut constitué.

Au XVIIIe siècle déjà, la botanique fait évoluer les pratiques horticoles. Un Dictionnaire des Jardiniers est publié par Philippe Miller (1691-1771) botaniste d'origine écossaise qui s’installera et travaillera à Chelsea, en Grande-Bretagne, jusqu'à sa mort. En tant que chef-jardinier du Chelsea Physic Garden, il sera notamment un précurseur dans le domaine de l'acclimatation des plantes exotiques provenant du monde entier. Grâce à des personnalités comme Philippe Miller, pionnier de l'horticulture, la botanique se développe en appui de l’art des jardins. Miller va également contribuer par ses ouvrages à l'engouement nouveau des Occidentaux pour la botanique.

Cela peut sembler étonnant que les sociétés traditionnelles se soient lancées dans des activités mutualistes mais c’est assez courant en Grande-Bretagne où, encore aujourd’hui, certaines anciennes mutuelles sont des créations d’ordres initiatiques, notamment druidiques. Les loges de Francs-jardiniers proposaient une forme d’assurance-maladie et payaient des retraites aux anciens jardiniers. Elles pouvaient aussi subventionner certains projets. Les loges de Francs-jardiniers semblent avoir fonctionné selon des modèles démocratiques, ce qui coïncide avec l’esprit mutualiste qu’elles développèrent. Les responsables des loges, qui portèrent des noms divers selon les structures et les époques, étaient élus. Les activités comme les finances étaient soumises au contrôle des membres de la loge.

L’ouverture des loges aux non-jardiniers fut variable selon les lieux et les époques, oscillant entre la tendance à inviter des notables ou des aristocrates et le repli sur la corporation qui semble l’avoir longtemps emporté.

La question d’un ésotérisme propre à l’Ordre des Francs-jardiniers demeure équivoque. Certes, les procès-verbaux des loges de l’East-Lothian semblent indiquer, selon Robert L.D. Cooper, « un développement graduel de la recherche ésotérique au sein de l’Ordre » . Les rituels du XVIIe siècle restant inconnus, il est difficile de conclure. Ceux qui sont en usage aujourd’hui proviendraient d’une matière datant du milieu du XIXe siècle, matière nettement retravaillée. Les mythes mis en œuvre par les rituels invitent à un ésotérisme mais il s’agit peut-être seulement de notre regard rétroactif. Nous savons toutefois, par des procès-verbaux du XVIIIe siècle, qu’il existait des mots, signes et attouchements secrets et peut-être un enseignement réservé. Le mythe central développé dans les trois grades de l’Ordre des Francs-jardiniers est celui du Jardin d’Eden, riche en symbolisme, ésotérisme et métaphysique.

Les rituels actuellement mis en œuvre sont structurellement proches des rituels de la Franc-maçonnerie. La porosité entre les deux organisations, très faible au XVIIe siècle, n’a cessé de grandir. Aujourd’hui, la double appartenance est une règle quasi générale. Les rituels peuvent différer légèrement d’une loge à une autre ou d’une région à une autre. Par exemple, le symbolisme des fleurs peut tenir compte des variétés présentes dans la région où la loge est installée ou encore d’une symbolique marquée comme le chardon en Écosse, la rose en Angleterre et en Espagne, le lys en France. Le renouveau de l’Ordre des Francs-jardiniers en ce début de troisième millénaire est du plus haut intérêt. Ce serait une erreur de le considérer de manière anecdotique ou « folklorique ».

Sommaire : Repères historiques – Rituels d’Apprenti, de Compagnon, de Maître – Initiation dans la Cité et initiation au Jardin.

VOUS AIMEREZ AUSSI

Haut