Lovecraft : une approche généalogique de l’horreur au sacré de Lauric Guillaud

Lauric Guillaud, professeur émérite de littérature et de civilisation américaines à l’Université d’Angers, personnage aussi attachant qu’érudit, nous offre une brillante et passionnante étude sur les généalogies de l’œuvre lovecraftienne. Si le génie de Lovecraft ne cessera jamais de nous étonner et de nous interroger, ce livre contribue à dénouer une part des mystères de l’œuvre. Dans sa préface, Philippe Marlin identifie tout d’abord l’articulation entre science et fantastique :

« On ne trouvera sans doute jamais la clef du génie américain. Mais en lisant l’étude de Lauric Guillaud, je ne peux m’empêcher de penser à la démarche du réalisme fantastique introduite par Pauwels et Bergier. Car Lovecraft, en pur matérialiste qu’il était, nous propose une démarche réaliste, presque scientifique, jusqu’au moment où tout bascule. Non, pour des raisons surnaturelles, mais parce qu’en l’état actuel de nos connaissances, le phénomène étudié demeure incompréhensible. Et c’est là, et seulement là, que le fantastique apparaît, avec sa couleur terrifiante qui n’est rien d’autre que celle de l’impossible. »

La démarche de Lauric Guillaud est très pertinente et les fruits récoltés sont particulièrement riches :

« Pourquoi écrit-on ? interroge-t-il. Comment écrit-on ? Qui écrit vraiment ? Ces questions se posent inlassablement à l’exégète, au chercheur, au critique, au lettré ou au savant. Le grand mystère est la genèse de l’écriture – et même la genèse tout court. Comment être original tout en s’inscrivant dans son siècle, en partageant avec ses contemporains les espoirs et surtout les inquiétudes du zeitgest ? Comment faire œuvre de nouveauté en s’emparant de thèmes, de mythes, de fables soudain réactualisées par la mode ou par le contexte scientifique ?

Je pense avoir toujours usé de la même méthode pour circonscrire un auteur ou un thème : m’attaquer aux commencements, resituer l’homme ou la femme dans son aventure généalogique, chercher le fil du labyrinthe. »

« Il me semblait intéressant de reconstituer une sorte de génétique textuelle des œuvres majeures de Lovecraft dans un essai fondé sur la littérature de compilation et l’art de l’extrait de lecture citationnelle (l’ars legendi comme ars excerpendi) ; contribuer ainsi à une « archéologie « des sources de l’auteur afin de saisir les étapes de l’échafaudage de l’œuvre, de son mécanisme et de sa structure esthétiques et mythiques. »

Ainsi explore-t-il la généalogie du thème des mondes perdus dans laquelle nous retrouvons Kunrath, Rosenkreutz mais aussi, plus près de nous, Haggard ou Bulwer-Lytton. Les « terres creuses », les « mondes souterrains » se retrouvent chez Lovecraft. Lauric Guillaud remarque qu’ils sont souvent associés aux « savoirs perdus ». Il clarifie les « ascendances lovecraftiennes », les probables et les hypothétiques, par exemple celles ayant pu conduire au Nécronomicon ou les références reptiliennes. Dans ces généalogies, Abraham Merritt tient une place importante et reconnue. Cependant, Lauric Guillaud explore d’autres pistes comme une filiation Lewis, Poe et Verne ou l’influence du peintre Nicolas Roerich sur les univers de Lovecraft.

La dernière partie de l’ouvrage, De la construction mythique aux Machines de l’Eternité est passionnante. S’appuyant sur la méthodologie durandienne, Lauric Guillaud traque les mythèmes, notamment dans leurs redondances. Si Lovecraft était un rationnel, plutôt méfiant vis-à-vis de l’ésotérisme, les mythèmes présents dans son œuvre tissent une dimension sacrée, avec ses temps et ses espaces typifiés, des éléments de voyages initiatiques, une symbologie un peu chaotique, mais qui peut faire sens. Michel Carrouges et Jean-Charles Pichon permettent enfin à Lauric Guillaud de suggérer la littérature comme métaphysique, un principe et une clef traditionnels mais peu appliquée au fantastique.

« On peut ranger les oeuvres de Lovecraft ou de Wandrei parmi ces œuvres étranges qui n’ont cessé de décrire une structure physique et métaphysique qui a modifié et parfois démantelé notre vision de la « réalité ». Ces « machines pataphysiques », telles que nous les décrivent Carrouges et Pichon, nous indiquent une « méthode », issue de la tradition du gay sçavoir, qui s’avère essentielle au décryptage d’œuvres provocatrices, longtemps incomprises, voire rejetées. La recherche inlassable de Jean-Charles Pichon n’est pas autre chose que cette exhortation à redécouvrir ces hommes qui ont trouvé la « forme vide » et « choisi la mort au-delà de la mort, l’Irrémédiable », « allant jusqu’où personne ne va » (Les Dialectiques factrices) : Poe, Jarry, Roussel, le Colonel Lawrence, Gilbert-Lecomte, Dauùmal ou Artaud – sans oublier Hodgson, Wandrei, Clark Ashton Smith et R.E. Howard. »

Cette étude comblera les amoureux de l’œuvre de Lovecraft ou plus généralement du fantastique mais intéressera aussi ceux qui étudient la mythologie, la littérature ou la métaphysique.

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