Un délice de chair et d’esprit qui nous conduit dans cet intense espace de création où se rencontrent les avant-gardes et les traditions. Tant Nadja que Béatrice inspirent Michel Cazenave comme elles inspirent tout questeur authentique.

Hommages, intuitions métaphysiques, propos poétiques, crudités se succèdent pour célébrer le féminin. Dans ces pages, la chair est sacrée et le divin se fait chair, sein, cuisse ou vulve :
« Comme si, en fin de compte, selon le processus d’une ardente métonymie, toute une femme se donnait dans sa vulve entrouverte…
Mais n’est-ce pour rien, aussi, que le Roi ne trouvait sa légitimité véritable que dans l’acte charnel avec cette femme qui portait la déesse tout en elle – comme les rois d’Irlande, autrefois, copulaient avec Medb (la reine Maeve de Shakespeare, dont le nom signifiait au plus près : l’enivrante), qui devait leur assurer la souveraineté sur la terre – avec Medb, ou une fée, ou une femme de l’au-delà ?
Dans la jouissance extatique de la vulve incendiée, il y a ouverture sur ce Réel qui nous est d’habitude interdit et nous fonde pourtant au plus vrai de nous-mêmes ; il y a la vision de ces autres Royaumes d’où nous sommes issus, de ces matrices muettes d’où nous sommes engendrés.
Mais, pour avoir cette vision, selon un scénario que connaissent tous les mythes, il faut abandonner la vision ordinaire, et de quelque manière, on doit bien s’aveugler pour devenir un voyant : il y a là une épreuve qui sert de pierre de touche à la vérité de l’amour. Et qui veut contempler le secret de la femme, s’il n’est pas un amant submergé de passion, s’il n’accède à la folie du Réel dévoilé, il en devient un aveugle selon les lois qui gouvernent la logique des symboles : « On prétend, dit le savant à propos de la culture arabo-musulmane, que la vue de l’intérieur du vagin doit être évitée parce qu’elle peut causer la cécité. Cette recommandation vient de la médecine et non de la jurisprudence. On raconte à ce sujet que Hacène ben Ishak, sultan de Damas, avait l’habitude d’examiner l’intérieur des vulves des femmes, et, quand on l’engageait à ne point le faire, il répondait : « Y-a-t-il un plaisir préférable à celui-là ? » Aussi ne tarda-t-il pas à devenir aveugle. »
Dans de telles conditions, on comprend facilement que faire l’amour avec une femme devient initiation, et que dans la vulve, le vagin est d’abord un barzakh, un lieu intermédiaire au monde métaphysique.
Aussi, ce n’est peut-être pas dans un geste de pudeur effarouchée, comme on a voulu s’en convaincre et qu’on a fini par le croire, qu’Aphrodite voile de sa main, dans la statuaire grecque, ses parties les plus intimes, mais pour protéger les humains d’une lumière ténébreuse qu’ils ne sont, si souvent, pas prêts à affronter :

« Ipsa Venus pubem, quoties velimena ponit,
Protegitur laeva semireducta manu :


Vénus elle-même, chaque fois qu’elle se défait de
[ses voiles,
Penchée en avant, couvre son sexe de la main
[gauche »
(Ovide) »

Michel Cazenave rappelle au lecteur qu’il n’y a pas de frontière entre l’extase sexuelle et l’extase mystique. L’une annonce l’autre, l’autre prolonge l’une. Le Septième Ciel est bien la demeure des dieux nous dit-il, la voie est indiquée mais ne peut s’y aventurer que celui et celle qui sont préparés pour cette folie du Réel. L’orgasme est toujours un abandon du monde, une « mort » plus réelle que symbolique, on s’en relève tel un égaré ou tel un dieu.

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