Raymond Abellio avait déjà signalé la dimension initiatique du rugby dans un texte court mais remarquable, malheureusement peu connu. Raymond Abellio insistait très justement sur le rapport entre le rugby et le rappel de soi et la présence à soi-même et au groupe. Cette fois, Olivier Chebrou de Lespinats développe longuement le sujet et fait le lien avec ce qui anime et oriente la chevalerie et la Franc-maçonnerie.
Rugby et Franc-maçonnerie. L’ovalie intérieure
Olivier Chebrou de Lespinats
« Le rugby, dit Olivier Chebrou de Lespinats, m’a formé au combat sans haine, à l’intelligence du groupe, à la beauté du geste donné. Il a fait de moi un homme de terrain, mais aussi un homme de parole. »
C’est après une belle carrière de rugbyman qu’il fut initié en Franc-maçonnerie pour débuter une autre longue carrière au sein du Rite Ecossais Ancien et Accepté et du Rite Ecossais Rectifié, deux rites qui lui sont chers, tous les deux marqués par la dimension chevaleresque.
Ce livre est davantage qu’un hommage au rugby, il porte, avec passion, une voie ancienne qui cherche à se renouveler d’instant en instant.
C’est, dit notre auteur, « un témoignage symbolique, non un manuel. Il est une offrande faite à celles et ceux qui cherchent encore des chemins structurants, dans un monde qui se fragmente. Une parole pour les éducateurs, les initiés, les transmetteurs. »
« Car, précise-t-il, être un Homme debout, ce n’est pas seulement se dresser face au monde. C’est habiter l’invisible, honorer ce qu’on a reçu, et préparer le terrain pour ceux qui viendront après nous. »
Par « Homme debout », il évoque toute femme ou tout homme, capable d’éthique, qui s’oriente résolument vers la découverte de soi-même, de l’autre et du monde. Olivier Chebrou de Lespinats parle d’un rugby à deux visages, féminin et masculin, une seule fraternité.
L’ouvrage est composé en quatre parties. La première partie est consacrée au rugby, « l’Ovalie comme école de fraternité », la deuxième partie à la « Franc-maçonnerie comme temple de l’élévation intérieure » quand la troisième partie ouvre le dialogue entre ces deux traditions. La quatrième partie prolonge ce dialogue dans la notion de « chevalerie du lien ».
A ceux qui doutent de la dimension initiatique du rugby, nous conseillons de jeter un œil à l’annexe 2, en fin d’ouvrage, qui propose une « cartographie des analogies entre les deux univers », rugby et Franc-maçonnerie : le lieu, le groupe, le chef, le rituel, l’épreuve, le temps, le langage, la transmission, le combat, le but enfin :
« Le But
Rugby : Marquer, gagner, transmettre l’esprit du jeu
Franc-maçonnerie : S’élever, construire le Temple intérieur, chercher la Lumière.
Sens croisé : Le but ultime est l’accomplissement juste, le service désintéressé, l’unité retrouvée entre l’homme, le groupe et le sens. »
Passons en revue quelques thèmes qui mettent en évidence cette dimension initiatique du rugby : « Le tunnel : entrée dans l’arène du jeu : passage du profane au sacré – le terrain, espace sacré du collectif – le vestiaire, creuset de la fraternité – la mêlée : creuset du collectif et loge en mouvement – le geste juste : une transmission invisible – le capitaine : commandement et exemplarité – la chaîne d’union après le match : fraternité et relèvement… »
Pour saisir, toujours, cette dimension sacrée du rugby, citons un très beau passage sur le rugby féminin :
« Il est un miroir souvent négligé, mais d’une clarté saisissante : celui du rugby joué par les femmes. Longtemps à l’ombre du rugby masculin, parfois moqué, souvent invisibilisé, il s’est construit dans la discrétion, la résilience et le dépassement. Il porte en lui une vérité brute : celle d’un engagement sans masque, d’un combat sans artifice, d’un jeu profondément incarné.
Sur le terrain, les joueuses ne cherchent ni la démonstration de force, ni la médiatisation facile. Elles jouent parce que cela les construit. Parce que cela les relie. Parce que dans l’essai marqué, dans la passe donnée, dans le plaquage reçu, il y a une forme d’initiation partagée, de transformation intérieure. »
Comme dans tout art martial, il est question du bon geste, au bon moment, au bon endroit, le geste qui fait sens, dans la présence à soi-même, au groupe et au jeu. Ces gestes sont les éléments, des « langages d’âme » écrit Olivier Chebrou de Lespinats, langages initiatiques qui constituent le rugby comme rituel.
Les femmes et les hommes de la communauté du rugby sont des « porteurs de feu », le feu de la fraternité qui fait temple, le feu de l’esprit qui libère.
Avec ce livre, Olivier Chebrou de Lespinats nous offre l’opportunité d’un regard renouvelé sur le rugby mais aussi sur le monde. Un cadeau salutaire.
Rémi Boyer
Source : La Lettre du Crocodile