Il est toujours temps de relire l’Arsenal antipapal, ou Dictionnaire des hérésies, impostures & idolâtries de l’Eglise romaine, publié en 1901 par Teofilo Gay. Si le livre s’inscrit dans le contexte très italien et garibaldien de l’époque, marquée par l’idée d’une révolution protestante, la recherche historique et archéologique sur la construction du christianisme de l’Eglise de Rome n’a cessé depuis de donner raison à la démarche de l’auteur.
Comme son titre l’indique, il ne s’agit pas d’un livre contre le christianisme mais d’un livre contre le pouvoir papiste et dans la perspective de l’unification de l’Italie.
Dans l’introduction à cette réédition de 2014, toujours disponible, Paolo Morlachetti, pasteur de l’Eglise protestante unie de France, cerne les enjeux politiques et religieux de l’ouvrage :
« La première publication de ce livre a pour but d’être un outil d’évangélisation. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la relation entre l’« arsenal » et le « dictionnaire » exprimée dans le titre. A travers la présentation des arguments par ordre alphabétique, l’auteur souhaite fournir des éléments pour alimenter le débat et mettre en lumière l’absence d’arguments bibliques qui se trouvent derrière ces pratiques et ces dogmes. Nous pouvons imaginer les réunions contradictoires publiques, assez courantes à l’époque, ou un prêtre et un pasteur s’affrontaient sur la place publique essayant de mettre en évidence les erreurs respectives. (…) Bien sûr, dans cet appel vigoureux à démasquer les erreurs et dans ces accusations violentes vers l’Eglise romaine, nous pouvons voir le reflet d’un christianisme protestant hargneux qui, incapable de se définir lui-même, construit son identité à travers la polémique avec l’autre. Mais, nous pouvons aussi reconnaître l’audace d’une parole libre qui s’attaque aux injustices et qui souhaite construire une société plus juste fondée sur l’idéal laïque d’une Eglise libre dans un Etat libre, ou l’Eglise peut vivre sa vocation sans le risque de voir l’élan religieux asservi à des intérêts économiques ou politiques. »
Plus d’un siècle après, si le débat entre protestantisme et catholicisme est apaisé, la violence s’est déplacée sur d’autres fronts inter-religieux et les injustices sont toujours aussi flagrantes. Interroger le phénomène religieux reste indispensable avec, comme source et finalité, la liberté. L’outil antipapal, relu hors contexte, indique une méthode pour dépasser les différences, les conditionnements, les identifications toxiques et inventer de nouvelles associations créatrices.
Le parcours de Teofilo Gay, qui démontre entre autres « le paganisme de l’Eglise romaine » ou sa dimension réellement hérétique, met en évidence le courage nécessaire, hier comme aujourd’hui, pour s’affranchir des carcans religieux, lui qui fut acteur de l’Eglise Méthodiste, dont il démissionna pour rejoindre l’Eglise Vaudoise, et Franc-maçon.
Le « dictionnaire-arsenal » ne fait pas que témoigner d’une époque, il invite à une pensée libre, construite sur un doute salvateur et l’appropriation d’une culture raisonnée du phénomène religieux sans cesse en mouvement. La multitude des interdits et condamnations portés par l’Eglise romaine en fait une invitation permanente à la transgression, avec son cortège de culpabilités. L’Arsenal antipapal vise à dissoudre cette pesante culpabilité qui ruine tant de vies encore aujourd’hui.
Source: La lettre du crocodile