Mise au tombeau par Jacqueline Kelen

Il était inévitable et surtout nécessaire que Jacqueline Kelen approche pour nous les mythèmes fondamentaux qui sont rassemblés dans la mise au tombeau du Christ. Son art à rendre vivant ce que nous figeons dans les concepts ou les dogmes restitue à ce moment, qui nous est commun, toute sa force et sa portée, considérable.

Son récit s’intéresse tout d’abord aux quatre cent cinquante « Mises au tombeau du Christ » encore présentes dans la statuaire européenne, témoignages de la permanence de cet épisode charnière de la vie du Christ, offerts à la méditation, à la prière et à la contemplation. Chacun, chrétien ou non, est touché par ces représentations qui interrogent notre rapport à la mort, à la souffrance et à l’éternité. Cependant, remarque Jacqueline Kelen, la composition nous conduit au-delà du memento mori par sa symbolique, notamment numérique, ce un plus sept, nombre essentiel dans les divers récits de la Bible.

Huit personnages sculptés composent l’ensemble. Autour du Christ dans son linceul, quatre femmes, Marie la Mère, Marie-Madeleine, l’amoureuse, Marie Cléophas et Marie Salomé, trois hommes, Jean, le disciple bien-aimé, Joseph d’Arimathie, qui deviendra un personnage essentiel de la queste du Graal, et Nicodème.

Jacqueline Kelen donne la parole aux sept personnages rassemblés par la mort du Christ et bientôt sa résurrection. La parole de chacun est à la fois située, dans une époque conflictuelle et dangereuse et dans l’intimité que chacun a développé au quotidien avec le Christ.

Outre la beauté et la poésie de cette parole septuple, sa justesse, humaine, réveille en chacun le Vivant, faisant de la matière du quotidien un creuset pour l’épanouissement de l’Esprit.

Magdeleine :

« Embrouillée dans mes robes et mes rêves, je vous ai tant cherché. En cet instant où en un ultime sacrifice vous semblez abandonner vos proches, vos amis, où vous êtes déjà si loin, je me retiens de toucher votre front, d’appuyer ma joue contre votre poitrine, je me retiens, même si tout mon être frémit et s’élance : vous n’êtes pas à moi, non, vous n’êtes pas à moi mais à tous. »

Jean :

« Désormais je ne succomberai plus à la torpeur ni à la négligence. J’apprendrai à vous aimer. Déjà ma poitrine bouillonne de ferveur et de joie, et ma honte se dissipe. Je donnerai à mon tour de la force à vos futurs disciples, je parlerai de vous, je transmettrai vos précieuses paroles. Je verrai votre gloire.

Pour le moment, ce que je sais, c’est que la lumière est venue en ce monde, et le monde ne l’a pas reçue. »

Jacqueline Kelen introduit le lecteur, devenu auditeur, à la voie (et voix) du cœur, déclinée à travers sept regards édifiants qui passent outre les clivages de la dualité.

Nicodème :

« Très tôt, je vous ai reconnu. Comme l’Envoyé, le Sauveur. Si tout à l’heure je suis arrivé chargé de myrrhe et d’aloès en abondance, ce n’était pas pour surenchérir sur Magdeleine avec son vase de nard. Elle, elle verse amoureusement le parfum précieux sur le front et les pieds de son Bien-Aimé. Moi, c’est une huile sacrée que j’apporte, en vue de l’onction réservée au Roi. Je vous ai reconnu et je vous rends hommage très humblement. Vous n’êtes pas le « Roi des Juifs » dont la foule se gaussait, vous êtes la Porte qui conduit au Royaume éternel. » 

Le chemin de la parole va du déchirement, de l’intranquillité, à la lumière et à la quiétude par une sagesse qui naît du détachement érigé par un amour inconditionnel, libéré des contingences. C’est une lente éclosion par l’alchimie du Verbe.

Le polyptique peint par Jacqueline Kelen, dont les couleurs sont paroles, paroles inspirées, trouve son unité dans le seul sujet qui est le Christ en nous et le Christ par nous.

Source: La lettre du crocodile  

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