La Cornue du Compagnon

A l’occasion de la sortie du deuxième volume consacré au Rite Français par Alain Mucchielli, La Cornue du Compagnon, publié aux Editions La Tarente, nous insistons sur la qualité de ces ouvrages en publiant l’intégralité de la préface rédigée par Rémi Boyer. 

« La trilogie consacrée au Rite Français que nous offre Alain Mucchielli est importante et nécessaire. En choisissant d’étudier la symbolique et la dynamique des trois grades d’Apprenti, Compagnon et Maître depuis le référentiel de l’alchimie, il restitue à ce rite la place qu’il mérite. En effet le Rite Français est souvent sous-estimé dans sa dimension initiatique quand ce n’est pas méprisé par des chercheurs qui s’affichent hermétistes.

Rappelons qu’il n’existe pas d’objets initiatiques et d’objets non-initiatiques, ce sont les rapports à l’objet étudié qui sont initiatiques ou non-initiatiques. En portant le regard de l’alchimie sur la matière proposée par le Rite Français, Alain Mucchielli démontre que le procès du Grand-œuvre s’inscrit dans le mouvement du rite. Peu importe que ce fût là l’intention des fondateurs du rite et des rédacteurs des premiers rituels ou que cela découle de la plurivalence des symboles et des mythèmes dans l’emboîtement traditionnel des mythes maçonniques présents, l’essentiel réside dans ce que peuvent dire les textes afin de porter l’opérativité. Les mythèmes, véritables éléments porteurs des opérativités, glissent aisément d’une forme à une autre, attendant un regard attentif et avisé pour apparaître à la lumière.

Dans sa préface au premier tome, intitulé L’Alambic de l’Apprenti, Jean-Marie Pierret rappelait que « le mot Alambic est une synecdote », indiquant à la fois le contenant et le contenu. Or, les mythèmes centraux des alchimies, qu’elles soient végétales, métalliques ou internes, sont bien ceux du vase (ou vaisseau) et de ce qu’il contient. En poursuivant avec La Cornue du Compagnon, Alain Mucchielli, poursuit le « pas à pas » engagé par l’Apprenti. La cornue, instrument de différentes opérations, sublimations, distillations, séparations…, permet entre autres d’isoler les « terrestréités » ou « superflus » et de libérer les « corps nus ». C’est dans la cornue que l’adepte observe, non symboliquement mais en réalité, le processus de la Création, en réduction mais aussi en totalité. Les différents niveaux de la cornue nous rappellent que l’accouplement du Roi et de la Reine a lieu en bas et l’enfantement en haut. Il y a une Intention et un Orient que le voyage du Compagnon révèle.

Souvent bâclé, considéré comme un simple passage en vue de la maîtrise, le grade de Compagnon est pourtant de première importance. C’est ce parcours, cette circulation, dans le sens où l’entendait Wilfredo Pareto, qui construit l’élection à la maîtrise maçonnique. En se liant avec la symbolique du voyage initiatique, quelle que soit la typologie utilisée, Ulysse, Ceux de la Table Ronde, le Quichotte ou Panurge et son anti-voyage initiatique qui se révèle, ultimement, un succès, le Compagnon requiert et acquiert les qualifications nécessaires pour mener à bien la queste. La lenteur, la répétition, l’imitation, la vérification précèdent l’invention de soi-même comme initié. Ce grade doit non seulement être rigoureusement cultivé dans toutes ses dimensions pour lui-même, mais il doit être affirmé comme relevant totalement de l’accomplissement que la maîtrise viendra sanctionner. C’est le grade de Compagnon qui « justifie » la maîtrise.

Déjà, le Compagnon a le pressentiment de la non-séparation, de la non-dualité, au sein même de la dualité. Ce pressentiment le met en mouvement. Il sait que manque au-dessus des deux colonnes du Temple, ce fronton triangulaire indispensable à qui veut géométriser. Dans l’apprentissage de la Géométrie par le Compagnon, s’impose peu à peu, à la fois en théorie et en pratique, la queste du Milieu.

Outre le référentiel alchimique, Alain Mucchielli s’appuie aussi sur le référentiel de la langue hébraïque. Très souvent, les hébraïsmes présents en Franc-maçonnerie restent lettre morte et la Parole demeure ainsi perdue. En puisant dans la cascade de sens des mots hébreux, Alain Mucchielli renoue avec la Grammaire comme science initiatique. La Grammaire structure en effet le théâtre de la Création, d’où le recours à la langue qui précède la kabbale. Ce n’est pas là jeux de mots, ou de nombres puisque les premiers ne vont pas sans les seconds, mais étude des possibilités créatrices inscrites dans la langue elle-même, reflet ou prolongement du Verbe jusque dans la dualité.

La symbolique alchimique, les révélations de la langue, la géométrie, d’abord du tracé, puis de l’intervalle, permettent à celui qui apprend en route, le Compagnon, de se doter des outils et connaissances indispensables à ce qui lui est proposer, la reconstruction du Temple de Salomon. Si la Loge se réunit sur les parvis, dans un jeu de miroirs éloquent, c’est bien en vue de cette reconstruction, à l’identique mais au-delà, toute reconstruction matérielle étant vouée à la destruction. Le Temple de Salomon, Temple de l’Homme accompli, Temple intérieur, n’est pas qu’une figure allégorique, il s’agit d’un projet tangible.

La symbolique alchimique, l’enseignement des mots, la géométrie concourent à une médecine ultime par la construction d’un corps d’immortalité, Temple présent et absent, « déjà et pas encore », nous dit Henry Corbin, que nous devons actualiser dans un « ici et maintenant » que le grade de Maître manifestera. Ce que peut le corps, le corps-alambic, le corps-cornue, le corps-athanor, est au cœur de la démarche initiatique maçonnique. Que la majorité des membres de l’ordre maçonnique l’ignore n’y change rien, cette ignorance elle-même sert de creuset pour ceux qui, par sagacité ou par providence, s’engage dans la discipline de l’arcane et tente la grande aventure de la haute rectification de « l’esprit de vin ».

Le « propos », étymologiquement « résolution », d’Alain Mucchielli peut être considéré comme une contribution majeure à la restauration de l’opérativité maçonnique, ceci quel que soit le rite. En effet, si le support choisi est le Rite Français, la démonstration vaut pour tous les rites maçonniques se référant à la symbolique salomonienne et à la reconstruction du Temple. La recomposition de la dynamique opérative des symboles, des figures et des mots, obéit à une méthode et cette méthode est la clé de décryptage des rituels et de leur mise en œuvre. » Rémi Boyer

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