La grandeur de l’homme

Rares sont les penseurs de l’éveil qui ont utilisé le langage pour dissoudre le langage et conduire à la non-dualité. Krishnamurti en est un exemple. Prajnânpad un autre, qui, souligne Roger-Pol Droit, sait « cheminer de phrase en phrase, vers un au-delà du dicible qui s’atteindrait par le discours ».

Cet ouvrage est construit par Colette et Daniel Roumanoff à partir des paroles de Prajnânpad recueillies dans des lettres confiées par les disciples ou extraites d’entretiens enregistrés. Ils insistent sur la modernité du langage utilisé. Prajnânpad évitait les mots sanskrits, instaurait le simple, le direct, l’immédiat.

Daniel Roumanoff distingue trois grands thèmes dans ces paroles :

- La connaissance intellectuelle, celle du connaisseur des formules coupée de l’expérience, qui s’oppose à la connaissance réelle, de celui qui se connaît lui-même.

- Connaître c’est être. Se connaître, c’est être soi-même. Non pas connaître le Soi mais revenir à soi après avoir perçu qu’il n’est pas possible de trouver à l’extérieur ce que l’on cherche.

- La séparation entre moi et l’autre est la source de la souffrance ordinaire. Connaître, c’est annihiler cette séparation. La vraie connaissance est l’unité.

Les propos de Svâmi Prajnânpad commentent des Upanishad mais aussi des histoires. Commentaires déconcertants, remarque Roger-Pol Droit, « Au sens le plus simple de ce terme : défaire un concert.

C’est-à-dire : désorganiser un ensemble, démanteler un réseau d’éléments renvoyant les uns aux autres. ». La déconstruction est un outil commun de la pensée mais ici, il s’agit d’autre chose, il apparaît qu’il n’y a ni déconstruction, ni construction, tout demeure, dans la non-séparation, et tout continue à vivre avec ses distinctions. La puissance des paroles est suffisante :

« L’Inde aujourd’hui vit dans ses rituels et ses sectes. L’Inde n’avait pas de sectes. L’Inde ne pouvait se limiter à une forme particulière. Dans les Upanishad, il n’y a pas de secte.

Il y est dit : « Connais-toi toi-même. » On y lance un défi : « Connais-toi toi-même et rien d’autre. Laisse tomber tout autre discours. »

Pas de mots, non, non. Seulement : connais-toi toi-même. Rien d’autre. Où sont les rituels ? Où est Dieu ? Où est le culte qu’on doit lui rendre ?

Seulement : connais-toi toi-même. C’est le pont vers la félicité, peut-on dire ou encore l’immortalité. L’état au-delà de la mort, l’état au-delà de la souffrance, l’ambroisie mais on ne peut pas traduire ainsi. Immortalité, félicité, mais cela ne rend pas le sens exact. Le sens exact d’amta : être au-dessus de la mort. L’état au-dessus de la mort ou au-dessus de la dualité, au-dessus de l’action-réaction en langage moderne.

C’est le pont vers l’immortalité.

Il y a la mort, il y a l’immortalité.

Quel est le chaînon qui les relie ?

Connais-toi toi-même.

Se connaître soi-même seulement.

Seulement cela. »

Même dans les choses connues de la philosophie, Prajnânpad instille l’inattendu, c’est connu mais c’est étranger, connu intellectuellement seulement mais sans l’expérience intime. Il ne s’agit pas de repousser l’intellect mais de l’aiguiser, d’en faire un allié. Il ne laisse pas le langage recouvrir le langage, il cherche à passer au travers, maintenant, de manière directe d’abord mais aussi de manière gradualiste si nécessaire pour son interlocuteur.

Ne pas adhérer, ne pas nommer, ne pas retenir, ne pas projeter… juste vivre l’instant présent qui est éternité. Reconnaître la Vérité de ce qui se présente et dans ce qui se présente.

« Quand la perfection est-elle atteinte ? Quand on voit que tout est neutre. Quand on sent, quand on voit que partout tout est neutre.

Il agit, il agira ou l’action se produira selon les circonstances. Il n’a rien de particulier à imposer.

Alors il agit, il semble agir, mais non, il n’agit pas.

L’action a lieu en lui.

Parce qu’il n’est pas responsable.

Il n’a aucune initiative pour agir. Selon la demande de la situation, il agit.

Il voit la différence, il sent la différence de situation et il est avec cette différence.

Quand la vérité, la réalité est connue, alors vivre, se mouvoir parmi les gens devient une source de joie. »

Selon le rapport établi avec les paroles de Prajnânpad, rassemblées dans ce livre, le lecteur connaîtra une agréable satisfaction intellectuelle ou une véritable expérience.

Source: La lettre du crocodile  

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