Aux source du REAA. Le cahier de loge du Vénérable Tarade

Voici un document exceptionnel pour servir à l’étude et à la compréhension des anciens rituels mais aussi, sans doute, du rapport que nous entretenons avec cet outil qu’est le rituel.

Le manuscrit publié de belle manière dans ce livre, commenté avec soin et rigueur, restitue la vie d’une loge parisienne, Saint Théodore de la Sincérité, composée en grande partie semble-t-il de musiciens, à une période de mutation maçonnique, le milieu du XVIIIème siècle, qui voit se constituer les différentes obédiences.

Nos deux auteurs allient leurs compétences pour servir à la compréhension du REAA. Ils confirment, comme le remarque Pierre Mollier dans sa préface à l’ouvrage que les hauts grades ne sont pas un ajout tardif et que leur élaboration a pu, pour les plus anciens, servir à la fixation des trois premiers grades. Cela introduit un tout autre regard sur la cohérence d’un rite.

Le manuscrit du Vénérable Tarade est composé des trois premiers grades puis des rituels de la maçonnerie « pour les Dames » augmentés d’un quatrième grade d’Ecossaise, dû au Frère Lachaussée et de huit rituels de hauts grades. A ceci s’ajoutent les dessins des tableaux de loge et les notes du Vénérable Tarade, comptes-rendus des réunions de loge, permettant d’approcher la mise en œuvre des rituels dans le quotidien de la loge. Ainsi, au lieu d’un objet figé, sujet d’étude distante, le rituel peut être approché comme un processus dynamique. Ce n’est donc pas une froide analyse de manuscrits qui nous est proposée mais une participation à la vie maçonnique de l’époque, susceptible de nourrir nos propres pratiques.

L’ouvrage nous rappelle que les rituels sont inventés par des êtres humains, qui cherchent, tâtonnent, expérimentent, choisissent, dans un contexte donné, avec une intention plus ou moins claire. Des divisions apparaissent, parfois sociales, parfois structurelles, des désaccords s’affirment, des alliances et des réconciliations se font jour dans un temps de protoécossisme. L’influence des Trinitaires est de plus en plus marquée en avançant dans l’échelle de grades pour s’imposer dans les derniers grades du REAA.

Si on se reporte aux comptes-rendus du Vénérable Tarade, il apparaît que la vie administrative de la loge est réduite au minimum, peut-être une leçon salutaire pour notre époque maçonnique cannibalisée par l’administration.

La richesse du contenu, la précision des commentaires, les questions ainsi posées font de ce livre, non seulement une contribution majeure à l’histoire du REAA ou de la Franc-maçonnerie en général mais une invitation à réfléchir à la nature du travail maçonnique. L’initiation n’obéit pas qu’à l’imitation, elle est aussi une invention. En rendant compte d’un véritable laboratoire maçonnique en plein XVIIIème siècle, Claude Gagne et Dominique Jardin nous appellent aussi à nous réapproprier le procès initiatique et à éviter l’enfermement par l’une des « machines réplicantes » de Gilles Deleuze. En effet, la dynamique qui conduit à la fixation, relative et sans cesse interrogeable, des rituels, ne devrait pas cesser quand les formes sont arrêtées, elle peut se poursuivre jusqu’à l’essence qui justifie la forme initiatique.

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