Nature vivante et âme pacifiée de Mohammed Taleb

Mohammed Taleb est philosophe. Il préside l’association de philosophie « Le singulier universel ». Il enseigne l’écopsychologie à Lausanne et sa démarche, transdisciplinaire et intégrale, prend en compte les interactions complexes entre spiritualité, métaphysique, critique sociale, dialogue des cultures et sciences.

Il s’inscrit donc dans une continuité dans laquelle nous retrouverons entre autres, Whitehead, Jung et Gilbert Durand. L’écopsychologie, de facture récente, se développe à partir du principe d’un continuum entre la vie intérieure et la Nature vivante. Le mot « Nature » étant à prendre dans le cadre de la tradition stoïcienne, c’est-à-dire traversée, animée, par une « force vitale », selon Sénèque, nafas al-Rahman, le « souffle du Tout Miséricordieux » de la philosophie arabo-musulmane, qui nous rappellera le ki taoïste.

Cette perspective d’orientation non-dualiste est ancienne puisque présente dans l’Antiquité. Le livre de Mohammed Taleb se présente comme une série de 7x7 portraits, qui donnent « à voir » une longue lignée de penseurs, à la fois, nous dit-il, « intellectuelle, poétique et spirituelle » qui va de Plotin à Henry-David Thoreau, d’Ibn’Arabi à Rabindranath Tagore, de Hadewijch d’Anvers à Carl Gustav Jung.

Cette vision et cette culture veulent rompre avec le modèle de pensée prométhéen de la rentabilité qui domine aujourd’hui à travers la « modernité capitaliste » non par une juxtaposition mais par une transposition qui conduit à une axialité de la pensée. L’ouvrage propose donc sept regards, tous fondateurs, sur cette dynamique créatrice : PhiloSophia gréco-orientale (Pythagore, Plotin, Porphyre, Jamblique, Proclus)

– La voie héroïque et cosmique de l’Islam (Le Coran, le Prophète Mohammed, Ibn Abdullah Ibn Sina, Moheyddin Ibn’Arabi, Abu Hamid al Ghazali, Abd al-Raman Djami, Al’Arabi Ad-Darqâwi, l’Emir ‘Abd el-Quader) Alchimie et Christianisme cosmique (Jean Scot Erigène, François d’Assise, Hadewijch d’Anvers, Maître Eckhart, Michael Maïer, Paracelse, Robert Fludd, Jacon Boehme, Serge Boulgakov, Nicolas Berdiaev, Olivier Clément)

– Le feu de l’insurrection romantique (Goethe, Novalis, Caroline von Günderode, Franz von Baader, Henry David Thoreau, Lady Gregory, Yeats, Romand Rolland, Khalil Gibran)

– Orients, de l’Inde au Japon (Rabindranath Tagore, Moreiheio Ueshiba, Toshihiko Izutsu) – Science et psychologie des profondeurs (Carl Gustav Carus, Alfred North Whitehead, Carl G. Jung, James Hillman, David Bohm)

– Contre-culture, pensée écologique et sagesse contemporaine (Louis Cattiaux, Theodore Roszak, Paul Shepard, Bernard Gorceix, Pierre Hadot, Georges Gusdorf, Gilbert Durand, Emmanuel d’Hooghvorst). Certains pourront s’étonner de liens jugés audacieux. C’est en raison d’une conception erronée de la lignée qui n’est ni linéaire ni temporelle ni historique mais relève, insistait Henry Corbin, d’une hiéro-histoire qui voit les pensées semences, jaillies en l’Imaginal, prendre vie selon des trajectoires serpentines souvent insaisissables, un non-procès qui garantit leur puissance contre une usure temporelle inévitable.

Ces re-créations fécondes constituent de véritables guirlandes de l’éveil. Les donner « à voir », c’est désenclaver la pensée dualiste pour lui restituer sa fluidité créatrice nécessairement non-duelle. D’une certaine manière, ce livre est un « manuel » de savoir être. Être à l’autre, être au monde, être à Dieu et aux dieux, être à soi et au Soi. « Les chosifications de l’environnement et de l’humain sont deux aspects d’une unique crise, précise Mohammed Taleb.

Si l’écopsychologie et l’écologie spirituelle appellent au dépassement de la modernité capitaliste, ce n’est point pour remettre en cause le principe de l’autonomie du sujet, mais pour contester, radicalement, l’individualisme quantitatif et utilitaire. L’humanisme écopsychologique, qui est celui de la haute lignée dont je parlais précédemment, est d’une autre trempe ! La figure de l’humain qu’il propose n’est pas l’homo oeconomicus, mais l’homo universalis, cher au néoplatonisme et à la Renaissance, et à sa tradition hermético-alchimique. En Islam, il est insan al-kamil, l’homme complet, universel…

Il est un humain qui n’est pas seulement réconcilié avec l’univers, mais qui porte, en lui-même, dans son âme pacifiée, cet univers, ce cosmos vivant. Je parlerais ici d’un cosmohumanisme ou d’un écohumanisme. C’est cet humain, et lui seul, qui est capable de responsabilité, de compassion, d’intelligence à l’égard de tous les vivants, capable d’une amitié environnementale. »

On le voit, la contribution de Mohammed Taleb, fondamentale, envisage une double inclusivité, celle, axiale, que nous qualifions habituellement d’éveil, et celle, spiralaire, de la réintégration de toutes les périphéries environnementales, sans compromis. Une « alliance de feu » nous dit-il.

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