Claude Bugeon connaît un parcours atypique, peintre, écrivain, philosophe, botaniste, ancien libraire et typographe d’art. La richesse de ses expériences, le croisement des différents regards professionnels, génère une pensée originale, libre qui oblige le lecteur à penser.

L’auteur, dans une vulgarisation rigoureuse et exigeante traite du « phénomène conceptuel en tant que mesure du monde ». Il met en garde contre la raison afin de mieux identifier la nature de la quête et la fonction du savoir.
« Du désespoir l’accablement est l’assise. L’homme se sent accablé dès que son incapacité à relier tout ce que son esprit renferme le hante. Comment vivre dans un tel désordre ? Ne lui faudrait-il pas une persévérance hors du commun pour s’échiner à relier la moindre chose à l’ensemble, et ainsi parvenir à en extraire une saveur inexprimable, ce que l’on nomme le savoir ? Car le savoir n’est pas l’acquisition d’une technique, ni même la virtuosité qui consiste à interconnecter une somme d’informations mémorisées dans le seul but de théoriser ou d’éblouir. L’acoquinement du savoir avec la raison correspond à un affaiblissement du premier banalisé au profit du second, le faisant glisser du monde sacré, indivis, initiation supra-personnelle, au monde profane, fragmentable (personnel, culturel et social).
Dans ce désordre sans cesse changeant comment trouver notre propre chemin ? Nous nous rendons vite compte que le chemin unique n’existe pas, et qu’aucun des pseudo-chemins qui nous sont proposés ne peut convenir réellement aux innombrables cas particuliers que nous représentons. Nous tâtonnons. La quête est longue. Mais relier la moindre chose à l’ensemble s’avère tâche impossible et, en fait, si l’on s’en tient à une pratique dégénérée du savoir, et à quelques voies purement formelles, il s’impose que cette quête obsessionnelle nous épuisera. Elle ne s’achèvera et ne se résoudra qu’en notre propre disparition, faute d’avoir réalisé que le savoir véritable est une connaissance sublime, qu’il ne s’encroûte donc pas dans le monde des phénomènes (des apparences) et qu’il n’a pas la prétention de dénouer l’imbroglio de celui-ci. »
Claude Bugeon vient avec clarté de décrire comment nous nous trompons d’objectif en investissant le champ de l’horizontalité phénoménale, que cela soit sans le domaine de l’art, de l’initiation, ou de la science. Il poursuit en dressant le portrait du quêteur qui s’inscrit dans une verticalité :
« Les individus qui échappent complètement à cette quête sont rares. Comme par grâce, et sans en avoir conscience, ils ont conservé l’innocence native, cette intime évidence de n’être qu’un des multiples échos de l’existence universelle, animés par une « foi » congénitale en la vie. Ils éclairent nos existences fébriles telles des flammes qui ne peuvent s’éteindre, appréciés à l’aune de l’espoir que leur simple présence avive en nous. (…) »
Le dépassement du sens auquel il nous invite passe cependant par le sens. Il convient de « peser » le monde. Cette « pensée-pesée » permet d’appréhender l’expérience sans la figer en de prétendues vérités. En écho à René Daumal, Claude Bugeon suggère une poésie du concept, intégrant la qualité elliptique du langage :
« Le pouvoir chaotique de la parole nous emportera en nous démembrant spirituellement ou, au contraire, creusera le lit d’un fleuve qui dirigera la nature de l’enseignement profane (conceptuel), voire, lors d’un choc intellectuel, le dépassera, vers une initiation sacrée qui, elle, est connaissance effective, « réalisation ». »
Ce livre nous indique les pièges qui guettent tout aventurier de la quête : raison, langage, pouvoir, territoire, etc. Il vise à donner au lecteur le pressentiment d’un chemin qui n’existe pas mais qu’il peut toutefois parcourir, celui de l’initiation.

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