La Franc-Maçonnerie est imprégnée des mythes et des valeurs de la chevalerie. Si certains rites, comme le Régime Ecossais Rectifié, sont très clairement, et dans leur ensemble, de nature chevaleresque, la presque totalité des systèmes de hauts-grades présentent plusieurs grades chevaleresques.

De la vision romantique de la chevalerie à une approche opérative des vertus chevaleresques, la Franc-maçonnerie constitua et demeure un cadre privilégié pour accueillir, conserver ou développer les grands mythes chevaleresques, sous des formes très diverses en fonction des époques et du rapport entretenu avec ces mythes.
Pierre Mollier étudie dans ces pages les origines et les premières années de la Chevalerie maçonnique. Si les grades bleus font référence à la Maçonnerie de métier, les haut-grades, en principe véhicule de diverses formes ésotériques, affichent souvent une forme chevaleresque. Pierre Mollier précise que « La plupart des systèmes maçonniques en sont venus à s’organiser sur ce modèle, voire à se transformer en ordres de chevalerie. » En même temps, il note le paradoxe de la Franc-maçonnerie spéculative du XVIIIème siècle en France, à la fois terreau pour les idées nouvelles et conservatoire pour les formes chevaleresques anciennes.
La dimension chevaleresque sera régulièrement réaffirmée dans l’histoire maçonnique. Elle en est donc une constante sur laquelle nous ne nous interrogeons peut-être pas assez, notamment de ce côté-ci de l’Atlantique. Il semblerait cependant que nos amis britanniques ne soient guère plus enclins à étudier cet aspect. Pierre Mollier fait certes œuvre d’historien, avec l’excellence à laquelle il nous a habitué, mais il contribue aussi et surtout à la compréhension de la philosophie et de la pensée maçonniques. En abordant les fondements de l’imaginaire maçonnique, imaginaire qui permet le changement génératif profond induit par l’initiation, il traite bien d’une dimension initiatique certaine de la Franc-maçonnerie, trop oubliée ou négligée aujourd’hui :
« L’une des notions centrales que nous utilisons est celle d’imaginaire. Bien sûr, il faut l’entendre dans un tout autre sens que celui de fantaisie ou de « non-vrai » que lui attribue parfois le vocabulaire courant. L’imaginaire dont il s’agit ici est un ensemble d’idées, d’images et de sentiments collectifs qui jouent un rôle important dans la perception que nous nous faisons du monde qui nous entoure et de son histoire. En cela il entretient des liens extrêmement forts avec la réalité telle que notre psychologie la construit. C’est pourquoi l’initiation, qui ambitionne de changer notre rapport au monde, est intimement liée à la question de l’imaginaire. »
Pour Pierre Mollier, « L’idéal chevaleresque apparaît donc comme l’une des composantes du corpus initiatique que la Franc-maçonnerie spéculative s’agrégera durant le deuxième tiers du XVIIIème siècle. » De ce corpus, devraient découler naturellement les praxis qui visent ou manifestent l’alliance entre action et spiritualité. Le rapport trop distant entretenu par de nombreux maçons avec leurs rites a occulté les orientations réellement opératives au profit d’un vernis intellectuel sans intérêt.
Il s’agirait pour la Franc-maçonnerie de renouer en profondeur avec ce qui semble bien un véritable projet qui structure l’Ordre maçonnique :
« Si, comme dans tous les phénomènes sociaux, l’air du temps, les coïncidences et les événements fortuits y ont leur part, certains éléments structurants de l’Ordre semblent bien correspondre à de vrais projets. La Chevalerie maçonnique nous paraît entrer dans cette catégorie. Elle n’est pas une fantaisie du Chevalier de Ramsay ni de qui que ce soit d’autre, elle est une tentative – consciente et construite- pour redonner vie à cet idéal chevaleresque qui hante la conscience européenne de siècle en siècle. En effet, c’est une particularité de notre culture que de proposer une manière de vivre qui unisse perspective spirituelle et action sur la société. Au delà des contingences des époques qui se sont succédées, cette singulière alliance reste une voie royale pour assumer son destin d’homme sans refuser le tragique du monde. »
Pierre Mollier nous invite avec discrétion à faire vivre l’idéal chevaleresque, non seulement dans les loges où nous nous devons de le forger, mais dans notre vie quotidienne. La chevalerie n’a peut-être jamais été tant d’aujourd’hui.

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