Voici un livre intelligent, riche de l’expérience et des interrogations d’un homme, décapant parfois, souvent pertinent, qui, et c’est bien là ce que devrait être la franc-maçonnerie, oblige à penser.
L’auteur, franc-maçon depuis 1967, est également psychiatre. Il ne pouvait échapper à la fois au télescopage et au rapprochement de deux domaines qui ont pour sujet l’homme et tout spécialement l’homme réconcilié.

Après plus de trente ans de cheminement sur l’une et l’autre voie, Francis Baudoux jette un regard lucide, à la fois détaché et enthousiaste, non dénué d’humour sur sa vie professionnelle et initiatique. Immanquablement, Francis Baudoux a rapproché les deux domaines qui lui étaient chers, la thérapie et l’initiation. On pouvait craindre le pire tant les rapprochements entre l’un et l’autre sont souvent hasardeux. Au contraire, ce rapprochement est riche d’enseignement, à la fois sur l’homme et sur celui qui observe l’homme. Il y a d’abord, plus ou moins énoncé, dans ce livre, la reconnaissance de notre propre folie et de l’initiation comme une folie contrôlée. Il y a aussi, mise en évidence, l’absence radicale de praxis initiatiques et même d’une propédeutique initiatique, absence que l’on a évidemment tendance à combler par des outils issus de la thérapie pour donner naissance à ce que l’auteur appelle la culture initiatico-thérapeutique de demain. Nous voyons bien la confusion, nous distinguons souvent mal comment et où elle apparaît et pourtant l’auteur, en définissant l’initiation maçonnique, nous l’indique malgré lui :
« La franc-maçonnerie, nous dit-il, est, avant tout, une école de formation d’initiés. C’est sa raison d’être essentielle. Elle intègre en une seule unité l’ensemble de ses objectifs, y compris ceux qui paraissent, à première vue, fort éloignés du « Meurs et deviens ». La démarche initiatique maçonnique est globale, holiste (j’utilise ce synonyme plus savant pour marquer l’importance que j’accorde à cette notion). Elle vise à transformer tout l’être, à le décloisonner, à l’élargir, à l’harmoniser au-delà se des infinies contradictions.
Cette métamorphose procède par niveau :
- Le premier niveau est celui de la quête de l’humanisation. Devenir un homme nouveau, meilleur, qui utiliserait enfin positivement ses fabuleuses potentialités en les portant à leur degré optimal de réalisation, tel est l’objectif numéro un de l’initiation. Un décapage libertaire de tout ce qu’il a construit jusqu’alors, aussi dénué des contraintes du conditionnement que possible, est le privilège fabuleux de l’apprenti. (…)
- Le second niveau est celui de la quête de socialisation. L’homme est un grand prématuré. Il doit être élevé, éduqué par d’autres humains jusqu’à l’âge tardif de son autonomie. Animal social, il a besoin, tout au long de son existence, de trouver sa place au sein d’un réseau social et affectif complexe. Sa participation active et positive à la construction et à l’entretien de ce réseau lui est vitale. A chacun son web ! « Connais les autres ainsi que les systèmes affectifs et sociopolitico-économiques qui les relient entre eux et participe activement à leur perfectionnement. » Tel est le maître mot du compagnon. L’initié deviendra et restera compagnon toute sa vie.
- Le troisième niveau est celui de la quête de l’amour des valeurs philosophiques et spirituelles. Chacun d’entre nous est une part infime et essentielle du Grand Tout à la meilleure reliance de laquelle nous aspirons. « Découvre ta place et les liens qui t’unissent à la nature, au cosmos ainsi qu’à tout ce qui nous dépasse. Œuvre à en garantir la qualité » : tel est le mot du maître maçon. L’initié tentera d’acquérir et d’approfondir l’inaccessible maîtrise du sens de notre existence et celui de sa place et de sa responsabilité au sein de ce grand ensemble.
Apprenti-compagnon-maître : indissociable unité dans la diversité. »
Si le premier niveau se situe bien dans une perspective initiatique et pose la question, fondamentale, d’une véritable propédeutique qui consiste à écarter la personne conditionnée pour laisser libre la place pour l’être, on retombe avec le deuxième niveau dans les préoccupations sociales spécifiques à la personne et non dédiées à l’être. Cette impression est renforcée par le troisième niveau où il est question du sens, souci de la personne et non de l’être, l’être n’ayant aucun besoin et surtout pas celui du sens. Nous sommes dans la confusion entre initiation et développement personnel. Il faut bien comprendre que notre frère Francis Baudoux n’est pas responsable de l’état négligé de la franc-maçonnerie, devenue incapable d’initiation mais, par son travail, il en est, comme quelques autres heureusement, plus ou moins consciemment, un révélateur, d’autant qu’il indique des pistes qui peuvent se révéler initiatiques pour qui sait traquer l’Esprit : le jeu des langues, l’art, notamment l’art contemporain, et la poésie : « Il paraît provocant d’écrire que les rituels initiatiques ont été écrits dans la langue des rêves. Pourtant cette piste me paraît féconde… »
A lire donc.

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