En quatre textes, Odile Cohen-Abbas se plonge, et nous avec elle, dans les folies peu ordinaires, celles qui nous dérangent pour mieux nous enseigner sur ce que nous sommes et surtout ce que nous ne sommes pas ou plus : Es-tu vierge Elma Bauher ? – Langueur et vigueur – Le DEUX et son ombre – Sept éveils d’Emor.
Le corps est ici le tabernacle de toutes les souffrances et de tous les délices. La pensée et la langue en sont à la fois les prolongements et les révélateurs, des révélateurs très chimiques, parfois alchimiques. Il faut, pour lire Odile Cohen-Abbas, accepter d’être désemparé, lâcher prise, renoncer même à s’empêcher pour demeurer dans l’éprouvé, un éprouvé habituellement repoussé très loin du seuil de la conscience.
« La mer tremble comme une à qui on arrache toutes les dents. Sa dopamine est mangée par des fossiles marins. Hors temps d’orage, elle perd le rythme de ses membres/vagues.
Dieu garde la représentation de la parkinsonienne, ses raideurs, son sang chevrotant dans son sein ! Ses flots compulsifs et alternatifs la rendent étrangère au Nazaréen. Trembler connait des phases subversives comme de chasser les dépliants de poissons, neutraliser leurs spots d’argent, désactiver les bains de mer approximatifs : mode convulsif qui se fige, se démantèle, partage en deux lèvres montueuses l’ensemble de l’aire comme dans la crainte du ciel.
Un cargo fait route vers elle pour l’emporter loin d’ici.
Sur la berge, Elma, comme une actrice qui ne connaît que deux rôles, successivement se raidit ou grelotte de tous ses membres. »
Nul chirurgien ne connait le corps comme Odile Cohen-Abbas, son anatomie visible, et celle, plus secrète, qui conduit à l’esprit. Le corps peut infiniment quand la langue, follement libérée, vient lécher ses recoins les plus ténébreux.
« L’œil mauvais du méchant dans la mort, une fougère abrasive, un blanc faisandé sous la fonte des cils. L’œil tactile du méchant dans la mort est venu, une poche plaquée sous la paupière pour recueillir son suint brun, comme un essaim de mouches, le débile, le préféré du ciel.
Une laitance qu’on attendait s’expulse de l’iris, mais on ne verra pas les œufs marcher seuls, avec ou sans membrane de change.
L’œil fou se dépouille d’arguments autant que de foyers anciens ; le premier mannequin de l’œil se cherche une maison. »
Chacun de nous est le lieu de toute folie, celle de l’autre comme celle qui se développe en nous sous le vernis des raisons insipides. Rares sont ceux qui se tournent délibérément vers les folles explorations de la psyché qui, immanquablement renvoient aux blessures des corps. De plus, le dopplegänger n’est jamais loin, plus présent encore par son absence, ce qui n’empêche pas la joie et l’amour de se faufiler à travers les épaisseurs morbides de nos représentations et de nos peurs.
« Bêta (trisomique) avec ferveur : tu vois mes lèvres ?
B : je les vois
Bêta : et que font-elles mes lèves ?
B : …
Bêta : elles sourient. Et pourquoi elles sourient mes lèvres ?
(des chiffres remplissent sa bouche, dont l’un est celui du sourire. Le chiffre aime et craint ce mouvement de plaisir)
B : pour illuminer ton corps, te peindre en soleil…
Bêta : elles sourient parce que je suis heureuse. Et pourquoi je suis heureuse ?
B : …
Bêta : parce que je te rencontre et tu es mon meilleur souvenir
Alors les chaises sur lesquelles ils étaient assis se tournèrent vers le ciel et se mirent à pleurer de joie. »
Bertrand Merlier a composé un drame musical sur des fragments d'Elma Bauher : http://electromerle.free.fr/cielbleu/
Source: La Lettre du Crocodile