Ceux qui font alliance avec la poésie connaissent Pierrick de Chermont, ses écrits et ses contributions à la belle revue NUNC.
Le livre Les Limbes, titre qui évoque Dante, est une œuvre, une œuvre rare. Chaque siècle nous en laisse quelques-unes qui retiennent parfois l’attention mais, le plus souvent, restent dans l’ombre.
Ici, la parole est vivante et circule de la philosophie à la théosophie, de la poésie à la fiction, des ruelles obscures du banal aux avenues de l’Esprit. Déroutante libération. Car il est bien question de s’égarer pour se retrouver, de s’oublier pour se reconnaître, complet, libre et créateur de soi-même.
« Que chacun comprenne, avertit Pierrick de Chermont : le seul chemin qui le mène à lui-même est celui d’une sagesse moderne (sans âge) l’invitant à se faire homme ; que ce chemin lui est propre ; qu’il est incessible, intransmissible et inviolable ; qu’il forme la parole unique que chacun abrite en lui ; qu’il articule notre singularité en l’ouvrant (communion) à autrui (son prochain), aux autres (passés, présents et à venir) et au monde (la terre, la culture, le cosmos), telle une main aimante soucieuse d’adoucir ce qu’elle touche. Ce chemin, cette sagesse s’appelle l’humanité à l’œuvre, avec ses ponts, ses routes, ses chemins, ses carrefours et toute son économie invisible. Elle reste et restera vivante grâce à ceux qui l’activent chaque jour, même au plus fort de l’épreuve, et en dépit de la détresse qui les brisera et les éteindra aux yeux de tous. »
L’œuvre est composée, en son premier, Livre de cahiers : Etats de l’homme – L’homme de Nazareth – Révélation – Conversion – Vivre dans le monde – cheminement – Miettes d’éternité. Sept cahiers dans lequel le Christ est très présent. Historique, il est interrogé. Mystérique, il est accueilli, intégré puis libéré de toute formalité.
Comment approcher ce Dieu-Christ, unique, insaisissable, ami des hommes, Dieu de la parole, de l’intimité et de l’attente ? C’est dans l’intime que Pierrick de Chermont fait de l’attente une matière propice au travail alchimique qui célèbre la Révélation.
« La Révélation est un lieu de rencontre. Juste avant, l’homme et Dieu sont parfaitement distincts : le premier mesure l’infranchissable distance qui le sépare de sa profonde aspiration, le second est reçu comme un dieu lointain et étranger.
Ce qui se produit ensuite, c’est une mise en branle de l’un vers l’autre, où chacun s’éprouve en l’autre mutuellement, saints et vivants à la fois. Cette Révélation, c’est Dieu en nous dans le silence de son obscurité ! En lui, l’âme se fait chair vivante et s’ouvre à l’existence ! »
Nous sommes au cœur du processus initiatique, de la séparation à la non-séparation, du fascinant mais toxique morcellement à la non-dualité.
Par questionnement, le dogme est déconstruit, les mots extraits des carcans de préjugés, ses constituants peuvent alors de recomposer en mythes fertiles, portant le mystère et avec lui, les opérations qui libèrent. Le processus est apparent mais en réalité ce n’est que du jaillissement immédiat. Il ne s’agit pas de conclure sur quoi que ce soit et en quoi que ce soit, seulement d’accueillir l’Esprit ou mieux de le reconnaître, toujours présent.
L’ouvrage est une longue méditation qui se prolonge après sa lecture. De la nature à l’Esprit, qui coïncident parfaitement, il n’est finalement question que d’amour, cet amour qui jaillit quand sujet et objet ne font plus qu’un et instaurent le silence.
« Certes, nous dit Pierrick de Chermont, il est plus usuel de rattacher amour à Eros, ou à Agapè et de mésestimer Storgê, et son inlassable travail sur l’entretien des liens ; ou Philia, avec sa force d’accueil, son intelligence bâtisseuse, son art de vivre empreint de bienveillance et de confiance. Mais le choix de mêler ces quatre eaux en une seule sous le mot amour n’est pas sans sagesse ; en lui rendant son insaisissabilité, sa fluidité, il nous force à une continuelle vigilance. »
Le second Livre est Le Livre des correspondances. C’est une « composition ». Chaque passage des Cahiers renvoie le lecteur à d’autres auteurs, d’autres textes, très anciens ou plus récents, indispensables enseignements ou justes commentaires, éblouissements ou simples éclairages. Ils viennent nourrir ou souligner le premier Livre qui, toutefois, se suffit à lui-même. Mais ils offrent bien une autre manière de cheminer dans cette parole volontairement incertaine pour faciliter l’émergence du « Voir ».
L’ouvrage est un vaisseau métaphysique, capable de voguer sur l’océan des certitudes comme sur celui du doute, mais il porte aussi une sagesse que le lecteur peut mettre en œuvre et évaluer de jour en jour.
« Le point qui réunit un théologien et un philosophe, nous rappelle Pierrick de Chermont, c’est que leur travail ne se borne pas à l’expression d’une pensée ou à son enseignement. L’un et l’autre doivent le traduire dans leur vie. Chacun de leur geste dans la cité doit respirer et illustrer leur sagesse. »
Ne laissons pas l’œuvre tombée dans l’oubli. Saisissons-la sans hésitation.
Source: La Lettre du Crocodile