L’étude de Christophe Bourseiller est particulièrement bienvenue pour trouver le chemin entre l’inévitable propagande des Etats et leurs relais et la tout aussi inévitable propagande complotiste à l’heure des réseaux sociaux.
Remarquons d’ailleurs que la seconde est fort utile à la première pour balayer les questionnements légitimes qui parfois dérangent.
L’ouvrage, très bien structuré, permet au lecteur de mettre en perspective, sur les plans à la fois historiques, sociaux et philosophiques, cette question, aujourd’hui brûlante, de prendre du recul pour observer les ressorts et les mécanismes d’un phénomène récurrent.
Christophe Bourseiller parle d’une véritable « religion du doute ». Il distingue conspiration et complot, « Le complot n’est autre que la mise en œuvre de la conspiration. », nous rappelle quelques complots avérés et nous engage à distinguer entre ces derniers et les complots imaginaires qui sont la matière même du complotisme, fait de « déblatérations péremptoires », de « doute systématique », de « rumeurs métamorphosées en faits ». Une théorie du complot est alors une « rationalisation de la rumeur ».
Christophe Bourseiller étudie la relation entre complotismes et extrémismes, notamment à travers les travaux de Laird Wilcox et Michel Winock avant de dresser quelques portraits de complotistes : Augustin Barruel, John Robison, Nesta Webster, Myron Fagan, Lyndon Larouche, Milton William Cooper, Jimmy Guieu, Boyd Graves, Ernst Zündel, Thierry Meyssan.
La deuxième partie analyse les récits complotistes depuis la matrice des Illuminati, une société secrète éphémère, fondée en 1777 en Bavière, par Adam Weishaupt (1748-1830). Weishaupt veut s’attaquer à tous les despotismes, lutter contre l’obscurantisme et la superstition. L’ordre disparaît dès 1790, en pleine Révolution française. Depuis cette matrice, le complotisme va se développer en de nombreux aspects. Il multiplie les cibles, Franc-maçonnerie, synarchie, cercles politiques ou financiers (Bilderberg, Trilatérale et autres). Il déforme des mythes traditionnels comme celui des « supérieurs inconnus ». Au besoin, le complotisme fait appel aux extra-terrestres.
Christophe Bourseiller examine les schémas complotistes, les mécanismes mis en avant par les adeptes des théories complotistes dans des événements récents comme les attentats du 11 septembre, ceux de 2015, l’avènement des nouveaux virus ou le réchauffement climatique.
« On mesure en fin de compte, conclut Christophe Bourseiller, à quel point le complotisme transcende le clivage droite-gauche et touche tous les profils, politiques, sexuels, ou sociaux. Les complotistes sont des coucous qui nidifient dans les espaces de la libre expression. Bien loin de servir les causes sociales et sociétales de leur temps, ils les dévoient et les détournent de leur finalité première. »
Il ajoute de manière très pertinente : « le complotisme, dans sa vocation planétaire, n’est-il pas aujourd’hui le symptôme le plus visible d’une crise profonde de la démocratie ? ». La « perversion des démocraties » nourrit le sentiment d’injustice et finalement les croyances complotistes. Sorte de mécanisme de défense face aux dérives de nos sociétés, le complotisme est le symptôme révélateur de notre incapacité à renouveler la démocratie et à la faire vivre.
Le web joue un rôle majeur dans la diffusion de ces théories. Face à cette déferlante, Christophe Bourseiller constate l’inefficacité des postures de l’Etat, du mépris, de la démonisation des acteurs du complotisme, de la censure, des amalgames entre extrémisme et complotisme,
« Il importe d’abord, nous dit-il, d’oser répondre sur le fond, en trempant ses mains dans le cambouis, en cherchant des réponses saines, face aux affirmations claironnées. Ceci implique l’étude et l’observation critique. En aucune façon, on ne peut se contenter d’une seule version des événements. Il faut confronter les points de vue et laisser parler les preuves. »
Bref, ce livre excellent nous invite à penser, éduquer, éveiller.
Source: La Lettre du Crocodile