Sol vivant, parole vivante

A l’occasion de la parution en mai prochain aux Editions L’Originel-Charles Antoni de l’ouvrage de Raimund Olbrich, Sol vivant, parole vivante, nous vous proposons quelques extraits de ce livre qui interroge avec beaucoup d’intelligence nos modes de vie et offre des chemins pour restaurer l’alliance avec la nature.

 

Raimund Olbrich est non seulement un spécialiste de permaculture mais aussi moine zen. Il est le jardinier du temple zen bien connu de La Gendronnière, près de Blois. https://www.zen-azi.org/fr/temple/temple-zen-de-la-gendronni%C3%A8re

Avec lui, nous sommes à la croisée de l’art zen du jardin et de l’agriculture biologique qu’il pratique depuis cinquante ans.

 

Mode de vie

 

La question du sens peut être facilement perdue de vue. Nous sommes sidérés par les mises en garde sans forcément comprendre quoi faire.

Comme pratiquant de la Voie, je me donne comme tâche d’avoir une vigilance quotidienne pour voir à quel point je suis bénéfique ou nuisible. Cela passe aussi par des choses sensibles. Je parle de créer une relation sensible avec l’environnement. Au jardin c’est le plus évident : il y a cette beauté, cet air, la vaste lumière… Tous ces rapports avec la nature, qui nous enrichissent.

Je veille à mon comportement plutôt qu’à essayer de convaincre les gens. Cependant, vivre la simplicité est véritablement enrichissant. C’est la réalité ! Ce n’est pas un slogan publicitaire. (…) Je pense que chacun pourrait faire l’inventaire des habitudes qui le mettent plus en esclavage qu’elles ne l’enrichissent.

 

Revivre à la campagne

 

Beaucoup de gens cherchent le calme. Mais une fois qu’ils l’ont trouvé, ils perdent leur élan. La ville fatigue mais elle stimule aussi fortement à coup d’artifices : la lumière à toute heure, le bruit, les possibilités culturelles infinies, le stress des gens qui se diffuse dans tous les comportements… Tout cela est de l’ordre de l’addiction et je pense qu’il faut apprendre à se désaccoutumer des stimulations. (…) Pour entretenir son élan vital, il faut trouver ce qui nous nourrit au-delà des aliments. Il est essentiel d’être souvent dehors. L’effet du soleil et de l’air produit quelque chose de très différent de la stimulation des néons, ou d’une pièce avec l’air conditionné.

 

La beauté

 

À partir du XVIIe siècle, c’est-à-dire bien avant la révolution industrielle, apparaît la volonté de contrôler la nature. Le milieu sauvage inspirait alors l’effroi, et la bien ordonnée Hollande était vue comme un modèle du beau. Quel emploi fais-tu de ce qualificatif de « beau » ?

(…) Pour répondre à la question de l’aménagement équilibré, j’ai cité le modèle des paysages du Moyen Âge. Non seulement c’est un type de paysage cultivé qui est très favorable à la biodiversité, mais en plus, il procure à l’homme un cadre dans lequel il peut s’épanouir. Un lieu harmonieux et réellement vivant me semble nécessaire pour que l’homme trouve un rapport à la nature qui lui permette de prospérer.

L’économique et l’esthétique se tiennent l’un l’autre plus qu’on ne le croit. En détruisant les paysages, nous avons détruit du même coup des pans entiers de la biodiversité. Je ne parle pas forcément des insectes que personne ne remarque mais par exemple des variétés de fruits et légumes.

Un certain artisanat des aliments a perduré assez tard. Au XIXe siècle, sans doute le siècle le plus riche en variétés de légumes et de fruits, on a abouti à l’art de la sélection le plus raffiné. Cela n’avait rien à voir avec la sélection purement rationnelle en laboratoire : cette profusion s’appuyait sur un foisonnement de petits terroirs dans lesquels étaient entretenues des variétés locales bien spécifiques. (…)

J’élucide la notion de Beau en la rapprochant du celle de Vrai. Et qu’est-ce qui est Vrai ? Certainement pas tout ce qui est aliénant, cette séparation qui fait qu’on a perdu le rapport avec la nature. Le Vrai, c’est « être avec ». C’est être avec la nature, avec les autres, toutes les valeurs humaines… On peut le nommer.

 

Etat d’esprit

 

Avons-nous besoin de formuler des propositions radicales à la hauteur des enjeux, ou aurions-nous plutôt besoin d’un changement d’esprit ?

(…) Je n’attends pas que des mouvements politiques agissent à ma place. Il y a une bonne part d’aveuglement à remettre entre les mains des autres ce qu’on peut commencer à faire soi-même. Dans la voie bouddhique, nous étudions et pratiquons l’action. C’est un cheminement long et délicat qui n’a rien à voir avec l’activisme. Les mouvements politiques armés d’idéologies veulent toujours aller trop vite et voir des résultats immédiats. Même s’ils se parent d’idées altruistes, ils se transforment bientôt en tyrannie parce que les Hommes ne changent pas à la vitesse de leurs idées purement conceptuelles.

L’action au contact de la réalité ouvre le champ de ce qui réellement possible – et on sous-estime trop souvent tout ce qui est possible. L’action évite de basculer dans de dangereuses utopies.

 

Jusqu’où modifier l’environnement

 

L’Homme veut aménager la nature pour constituer un milieu qui lui est plus favorable et pouvoir en tirer suffisamment de ressources. Dans quelle mesure peut-on aménager la nature sans enclencher des déséquilibres graves ?

Si on concède aux Hommes le droit d’exister, au moins au même titre que celui des autres êtres vivants, l’aménagement de la nature est nécessaire. Il y a plutôt un équilibre subtil à trouver qu’une réponse à donner sous forme de oui ou non. (…) Après tout, l’Homme est un être vivant, il fait partie du vivant et contrairement aux écologistes misanthropes qui ne cessent de répéter que « la planète peut très bien se passer de l’Homme », on peut voir l’Homme comme le seul être vivant capable de se mettre consciemment au service des autres êtres.

 

Libre évolution

 

Admettre que la nature comporte des déterminants qui dépassent la raison humaine inciterait dès lors à laisser le jardin évoluer sans interposer des fonctionnements trop rigides ? Cette idée de libre évolution est une conception plus proche de la pensée asiatique traditionnelle que de l’exploitation moderne occidentale. Mais pour clarifier mon propos : je n’abandonne pas le jardin en laissant tout pousser comme cela voudra. Il s’agit plutôt d’un processus dynamique, rythmé par l’intervention et l’observation. (…) Enfin, le plus intéressant est d’observer les résultats et d’en tenir compte, quitte à adapter le plan de départ à la réalité du terrain.

 

Connexion avec les plantes

 

Pour quelle raison insistes-tu sur le terme « vivant » ? Te sens-tu d’une certaine manière relié avec le règne végétal ?

Je ressens une connexion avec les plantes. Quand je passe dans le potager, je recueille des informations au moyen de l’intellect mais je sens aussi dans quel état sont les plantes, je vois leurs besoins. Je vois leurs problèmes quand ça pousse mal.

Ce que j’évoque, c’est un rapport aux choses différent de l’appropriation. Il peut y avoir une sorte de résonance. Nous pouvons entrer dans une forme de communication.

Ce rapport avec l’extérieur que je peux au mieux définir par ce terme de résonance requiert une certaine ouverture perceptive. Si l’on accepte de se placer du point de vue du vécu, la perméabilité à ce type d’expérience devient possible.

 

Le travail de la terre devient un travail spirituel

 

Quand tu parles de résonance, cela signifie-t-il que le travail de la terre devient un travail spirituel ?

Cette dimension spirituelle existe, mais à travers les manifestations concrètes. Ce n’est pas une idée. À travers l’objet, la plante, l’animal auquel on a affaire à un moment, il s’établit un rapport avec le cosmos que je peux accepter de qualifier de spirituel parce qu’il n’est pas instrumental.

Quand je touche la belle tomate qui sera mangée, je le fais avec la même attitude que pour la tomate pourrie que je mets au compost. Cela ne perturbe pas mon esprit, je reste dans une attitude de respect car je vais mettre le fruit immangeable dans le compost où il va servir à refaire la vie. La fonction est différente mais elle a autant de valeur donc je dois avoir autant de respect. Le travail au jardin consiste donc aussi à cultiver une attitude d’esprit équanime vis-à-vis des choses.

 

Que faire avec la connaissance ?

 

Nous avons parlé de la connaissance rationnelle, scientifique, dans un sens limité. Si ce champ de connaissance devait être désinvesti, au profit de quel type de connaissance « non-étroite » devrait-il l’être, hormis l’observation et l’empirisme ?

Il faudrait déjà revenir à une question fondamentale : que veut-on faire de cette connaissance ? Dominer le monde ou transcender notre propre condition ? Orienter nos efforts vers l’extérieur, ce qui conduit à modeler sans fin l’environnement ou s’étudier soi-même sans déranger les harmonies naturelles ?

La véritable connaissance est ce qui nous permet de dépasser la séparation entre sujet et objet.

 

Proposer des modèles

 

Il faudrait peut-être proposer des modèles sans se perdre dans des utopies maintenant que nous avons un peu de recul sur ce qui peut fonctionner.

Les Allemands ont beaucoup développé ce type de collectifs qui ont une dimension sociale. Ce modèle s’appelle l’agriculture solidaire. (…) Là-bas le principe est la cotisation libre.

Un calcul est fait concernant les coûts annuels liés aux employés, aux consommables, aux intrants, aux semences, aux produits, aux emballages… Un certain budget est donc déterminé dès le départ. Ensuite chacun fait librement une offre pour l’année. La cotisation n’est donc pas unique mais établie librement d’après le revenu des personnes qui procèdent à une autoévaluation selon une grille. (…) Chacun prend ce dont il a besoin et donne ce qu’il peut. (…) C’est donc un mode de vie qui modifie l’équilibre du temps et de l’argent.

Exactement. Dans ce collectif dont j’ai parlé, la philosophie était : « Si vraiment je veux être autonome, il faut que je dégage du temps : je dois moins travailler pour gagner de l’argent, mais davantage pour répondre directement à mes besoins vitaux comme la nourriture, les vêtements et l’habitat. »

On peut imaginer cela comme une transition car il faut toujours des marchandises, on ne peut pas tout produire soi-même : comment fabriquer ses lunettes ? Mais au lieu de prôner de travailler plus alors qu’il n’y a déjà plus d’emploi pour tous, la solution pourrait être de dégager du temps pour faire soi-même des choses qui pour le moment sont monétisées, et les sortir du monde marchand. Il peut s’agir de s’occuper de ses enfants plutôt que les mettre à la crèche, d’entretenir et réparer ses biens plutôt que les remplacer…

 

Véritablement humain

 

Comment en es-tu arrivé à clarifier ta vision de la « vraie vie » ?

Comment s’épanouir comme un être humain ? Comment être véritablement humain ?

Si je me pose profondément ces questions, des évidences apparaissent. À commencer par le souhait de m’harmoniser avec l’environnement, avec les êtres vivants qui nous entourent. Une envie d’échange avec les autres vivants, un désir d’être mêlé à tout le vivant.

J’insiste sur cette question de la motivation juste. La motivation doit être portée par autre chose que le désir de parvenir quelque part. Nous devons la baser sur quelque chose de plus profond, que tout humain possède et c’est simplement l’authenticité ou la vérité. C’est sur ce qui est le Vrai, le Bon ou le Beau que nous pouvons prendre appui.

Alors j’adopte un mode de vie particulier parce que je crois que c’est cela la vraie vie. Je ne le fais pas d’abord parce que la planète est en danger et que diminuer mon empreinte écologique serait ma plus grande aspiration.

Ce qui me motive, c’est que cette façon de vivre proche de la nature, libre, où je suis bien établi dans mes actes et en relation avec tout ce qui m’entoure, pour moi c’est cela la vraie vie.

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