La revue-livre Historia Occultae, sous la direction avisée de Philippe Marlin et Emmanuel Thibault démontre sa maturité avec cette onzième livraison de quatre cents pages de très bon niveau, rassemblant des regard à la fois différents et convergents.
Sommaire : Éditorial, par Emmanuel Thibault – Gwenc’hlan Le Scouëzec, Grand Druide de Bretagne par Claude Arz – Images du Dragon au temps de Chrétien de Troyes par Daniel Bordeaux – L’Homme de désir selon Louis-Claude de Saint-Martin par Christian de Caluwe – Le dandysme de Caïn par David Nadeau – Janus, le dieu du passage et de l’initiation par Joël Thomas – À quelles sources puiser pour vivifier le rite ? interview de Rémi Boyer – Quelques brèves réflexions sur la nature de la conscience par Emmanuel Thibault – Thriller ésotérique et mythologie par Geneviève Béduneau – Le Pendule de Foucault d’Umberto Eco, un anti polar ésotérique ? par Georges Bertin – Nouvelles hypothèses sur le cas Naundorff et l’affaire Louis XVII par Charles Novak – Soufisme, alchimie interne et Agartha, un lien traditionnel, interview de Ph. De Vos – Quand le modèle anthropologique du rite est bousculé par les faits, interview de Michael Houseman – Les musiques du chaos – 2 par Olivier Steing– Notes de lecture.
Plusieurs de ces contributions sont une opportunité de repenser la pratique initiatique et de la recentrer sur l’essentiel.
« Dans le monde de l’ésotérisme, indique Emmanuel Thibault dans son éditorial, il a toujours été essentiel de relier les pratiques et les théories qui les soutiennent à une tradition, voire à un idéal d’absolu traditionnel – la Tradition. Ce concept a souvent été interprété tant dans le sens d’une tradition spirituelle primordiale qui aurait inspiré les expressions que nous pouvons connaître jusqu’à aujourd’hui, mais aussi dans le sens d’un accès intérieur et quasi mystique à la source de toute expérience et toute connaissance spirituelle. Lorsqu’on s’intéresse aux spiritualités et ritualités émergentes, cette inscription dans l’histoire ne va pas totalement de soi, et elle prend un sens différent. Il est important, par conséquent, de situer clairement l’apparition et le développement de ces nouveaux concepts et de ces nouveaux mouvements dans l’évolution de la pensée humaine. C’est une chose indispensable pour pouvoir bien comprendre les motivations de ces émergences et le rôle que celles-ci jouent socialement et surtout spirituellement. »
Dans un autre domaine, le lecteur sera intéressé par la recherche fouillée de Charles Novak sur le cas Naudorff, à la croisée de la politique, de la spiritualité transgressive, de l’action des sociétés secrètes et des services secrets.
Georges Bertin revient avec subtilité sur les intentions ou démonstrations d’Umberto Eco dans son Pendule de Foucault. Robert Amadou considérait Eco, à l’époque de la parution de ce livre, comme l’un des plus dangereux adversaires des mouvements initiatiques ou ésotériques. Georges Bertin montre que c’est peut-être plus complexe :
« Pour Eco, le roman adopte un point de vue herméneutique et il accepte que l’interprétation que nous en faisons nous entraîne à nous demander ce que l’auteur a réellement voulu dire ou « ce que l’Être dit par le langage » sans pour autant admettre que la parole de l’Être – en nous et hors de nous – ni qu’elle n’est définissable qu’à partir des pensées des destinataires. Car un texte a la possibilité de susciter des interprétations infinies ou indéfinies. Ainsi le Moyen Âge a toujours recherché la pluralité de sens tout en s’en tenant à une notion rigide du texte, théocratiquement orientée. La Renaissance – et ce n’est pas un hasard si les références des personnages ont quelque chose à voir avec cette période – inspirée de l’hermétisme néo-platonicien – , a tenté de définir le texte idéal comme, écrit-il, « celui qui autorisait toutes les interprétations possibles, jusqu’aux plus contradictoires ». C’est exactement ce qu’Eco fait dans Le Pendule avec une incomparable virtuosité qui laisse derrière lui bien des polars se réclamant du genre ésotérique, au niveau de complexité plus ou moins construit, voire mécanique dans certains cas. »
Source: La lettre du crocodile