Voici « cinq essais sur les principes et la pratique de l’art en Inde » réunis, traduits et annotés par Marie-Hélène Castier-Béreau et Julian Arloff, suite à un travail considérable de recherche et de vérification.
Roger Lipsey, dans la préface, annonce tout l’intérêt de ces textes :
« … le premier contact avec les écrits tardifs de Coomaraswamy n’est pas simplement intellectuel, un simple assentiment tranquille à des idées intéressantes. C’est une rencontre. Notre regard sur l’art, l’histoire et nous-mêmes en est bouleversé. Il cherche à faire mourir quelque chose en nous pour donner vie, espoir et direction à quelque chose d’autre. »
« Je dirais, poursuit-il, que Coomaraswamy dans les dernières années de sa vie a conféré un caractère de dignité à l’approche instinctive de l’art religieux comme épiphanie, une expérience transformatrice qui enseigne et touche à la fois l’esprit et le cœur. »
Ananda K. Coomaraswamy (1877 – 1947) cherche à mettre en évidence les richesses des cultures traditionnelles en tissant les expressions multiples de l’art au service d’un approfondissement, d’un voyage intérieur. Même si la pensée de Coomaraswamy est complexe, elle évite le piège de l’érudition pour privilégier une liberté d’exploration dans laquelle le symbole est vivant.
Les cinq contributions de Coomaraswamy traitent de Samvega : le choc esthétique – Le rôle reconnu à l’Art dans la Vie indienne – L’Art indien et l’opération intellectuelle – Une référence à la peinture indienne – La nature de l’Art bouddhique. Un glossaire sanscrit et un appareil de notes conséquent accompagnent le lecteur dans la compréhension des textes.
Coomaraswamy cherche à extraire la pensée du lecteur des limites qui sont les siennes dans son rapport à l’art. Il ne cherche pas à former l’esprit mis à le libérer.
« C’est une tâche ingrate mais nécessaire d’analyser des exemples précis qui permettront de rendre plus claire notre pensée, mais nous ne pouvons nous résoudre à l’illustrer avec les reproductions de spécimens de notre prétendu art qui n’en est pas ; ils envahissent nos palais et nos salles à manger et ceux qui voudraient comprendre devront abandonner les opinions toutes faites et s’efforcer de réfléchir par eux-mêmes. Evoquer quelques cas suffira ; en chacun d’eux on reconnaîtra que la nature propre à une œuvre d’art – un travail concret ayant reçu sa forme d’un contenu intellectuel ou d’une signification donnée –, est rabaissée au niveau d’un objet sensible privé de sens qui se limite à renseigner ou être utile. « Rabaisser » est le contraire de « transformer » ; rabaisser un symbole déjà connu au seul niveau d’un objet sensible privé de sens représente une chute ou une décadence dont la direction va à l’opposé de cette ascension qui s’accomplit lorsque, en prenant « la nature » comme point de départ, nous allons de l’apparence à la forme. »
Tout au long de l’ouvrage, Coomaraswamy cherche à rétablir les symboles dans leur fonction opérative, transformatrice. Il existe une potentialité « éveillante » dans l’œuvre qu’il convient de conquérir. Amour, Compassion, Joie, Impartialité font partie du chemin. Rechercher le sens parabolique dans le sens littéral, retrouver la métaphysique à partir de la forme physique, participent à la redécouverte d’une indispensable méthodologie symbolique. Il s’agit de pressentir l’essence au sein même de la forme.
Ce livre, qui mérite plusieurs lectures, nous arrache à l’académisme stérilisateur pour ouvrir les portes de l’art par les sentiers buissonniers.