La longue marche des Franc-maçonnes

La question, essentielle, de la place des femmes au sein, au cœur, de la Franc-maçonnerie se révèle toujours aussi brûlante. La mixité est encore largement rejetée par les Frères de l’Ordre maçonnique et les résistances au sein de la Franc-maçonnerie ne font que refléter ou prolonger le refus de reconnaître à la femme la liberté qui lui revient au sein des sociétés contemporaines.

Cécile Ravauger, professeur émérite à l’Université Bordeaux Montaigne a publié de nombreux travaux sur la Franc-maçonnerie. Nous nous souviendrons notamment de son ouvrage Comment la ségrégation raciale s’est installée chez les Frères américains, publié chez le même éditeur en 2014. Le choix du titre, la longue marche des Francs-maçonnes évoque une autre longue marche, celle des communautés noires pour les droits civiques aux Etats-Unis. Dans les deux cas, rien n’est acquis, loin s’en faut.

Ce n’est que récemment, depuis une vingtaine d’années, que se sont ouverts aux chercheurs les archives des Bibliothèques maçonniques. Les matériaux étudiés par Cécile Ravauger n’avaient pour la plupart jamais été exploités. De plus, la recherche maçonnique fut longtemps menée par des hommes sur l’activité des loges masculines. Cet ouvrage ouvre donc un nouvel espace de pensée.

La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’adoption, « l’adoption dans tous ses états des Lumières à l’aube du XXe siècle », tant les loges d’adoption offrirent des réponses diverses et parfois surprenantes. Les processus qui permirent de passer d’une femme « non initiable » à l’adoption furent sinueux, emplis de préjugés et d’arrière-pensées. Le choix de l’approche comparative entre maçonnerie française et maçonnerie anglo-saxonne permet d’avancer des hypothèses sur les différences à la fois stratégiques et temporelles rencontrées. Qu’est-ce qui fait opter pour la mixité ou pour les loges féminines ? Quelles corrélations peut-on établir avec la place de la laïcité en France et la référence gardée à la croyance en Dieu de l’autre côté de la Manche ? Si les religions cherchent d’abord à contrôler les femmes pour contrôler la reproduction, la Franc-maçonnerie n’a pas échappé à cette tentation quand le premier devoir d’une apprentie maçonne est « Obéir, travailler et se taire ».

La deuxième partie de l’ouvrage traite des débuts des obédiences mixtes et féminines et, bien sûr, de la belle aventure du Droit Humain autour de Maria Deraismes. Cécile Ravauger s’intéresse également aux premières avancées de la mixité en Grande-Bretagne et en Inde comme aux Etats-Unis. Il y a des similitudes et des différences. Ainsi, en France comme en Angleterre des Francs-maçonnes s’engagent dans les mouvements féministes mais le rapport au religieux diffère :

« La différence la plus significative entre la France et l’Angleterre réside cependant dans l’attitude envers les religions et les Eglises. Alors qu’en France le cléricalisme est clairement associé à la subordination de a femme, en Angleterre les religions jouissent encore d’un grand prestige et la palette est large, de l’anglicanisme le plus traditionnel à la théosophie. Il faut dire que l’Eglise anglicane, tout en étant l’Eglise établie et en ayant à sa tête le monarque, a toujours pris soin de respecter la vie privée des individus et s’est toujours gardée de prendre position sur le statut social de la femme. »

La troisième partie de l’ouvrage aborde « Les enjeux de la mixité au XXe siècle ». Même si la France maçonnique est plus avancée dans le domaine, la mixité n’est pas encore pleinement établie et reste contestée. Il demeure bien des peurs, bien des obstacles à une mixité pleinement assumée.

« De longs et pénibles efforts ont été nécessaires, rappelle Cécile Ravauger, pour que les femmes franchissent enfin la porte du temple. C’est chose faite dans une minorité de pays. La plupart des loges dans le monde sont encore réservées aux frères. C’est bien d’une longue marche qu’il s’agit. Les femmes ont eu des compagnons de route, les frères qui se sont engagés contre leur exclusion. (…)

Un grand nombre de frères et de sœurs sont encore attachés à des obédiences monogenres. C’est un choix respectable, qui leur appartient. Toutefois, la voie féminine ou la voie masculine ne sont pas les seules possibles pour préserver l’identité et la sensibilité des uns et des autres. Une mixité bien comprise ne signifie nullement une uniformisation, un quelconque modèle de pensée unique. Il ne s’agit pas, comme les aristocrates d’antan, de craindre que l’égalité signifie un nivellement par le bas. Bien au contraire, la mixité doit permettre aux différentes identités de s’épanouir et de cohabiter dans l’espace harmonieux que représente la loge. »

Cet ouvrage n’est pas seulement une contribution à l’histoire maçonnique, il identifie des marqueurs sociétaux de l’émancipation des femmes et des résistances multiples, grossières ou subtiles, à celle-ci, que la Franc-maçonnerie révèle.

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