Astrologie et religion au Moyen Âge

La publication aux Editions Spiritualité Occidentale de l’excellent mémoire de Master 2 de théologie de Denis Labouré soutenu sous le titre Eléments pour lire la Concordantia astronomie cum hystorica narratione du cardinal Pierre d’Ailly à l’Université de Lorraine est une opportunité d’étudier la place de l’astrologie dans l’histoire occidentale.

L’arrière-plan de ce travail, annonce d’emblée Giuseppe Giacomo Nastri, chercheur en physique nucléaire, dans la préface, est « l’opposition, au gré des circonstances historiques, entre la théologie, la science et l’astrologie ».

Pour des raisons diverses et toujours contextuées, souvent politiques, l’Eglise a, dans l’histoire, tantôt combattu l’astrologie, tantôt fait alliance avec cette discipline traditionnelle, ce fut le cas à la Renaissance. Il en est de même de la science qui aujourd’hui rejette l’astrologie sur la base de son approche expérimentale quand, à d’autres époques, elle l’associait à ses démarches.

« Quand on analyse la théologie, la science, l’astrologie, la philosophie, la psychanalyse, etc., poursuit-il, il est essentiel d’en déterminer les limites respectives, car les intérêts et les exigences de l’homme peuvent être plus vastes que ceux que s’assigne chaque discipline. Ainsi la théologie concerne la Révélation, la science ce qui tombe directement sous les sens, l’astrologie les rapports entre la voûte céleste et notre vie intérieure, la philosophie la distinction entre le contingent et le nécessaire, la psychanalyse l’inconscient… Les experts dans ces différentes matières ont certes une largeur de vues qui leur permet de voir grand, mais non pas toujours de voir au-delà de leur domaine de compétence. Ils sont donc toujours tentés d’universaliser leurs méthodes, c’est-à-dire d’en exclure d’autres, jusqu’au refus de la nouveauté, du miracle. »

Dans l’Antiquité, les philosophes sceptiques avaient déjà alerté sur l’impossibilité de la preuve. En Amérique du Nord, aujourd’hui même, la prétendue rigueur scientifique est interrogée par les méta-analystes, les sciences quantiques posent le problème de l’expérimentation dans de nouveaux paradigmes et Ken Wilber, avec la démarche intégrale, invite à rechercher l’articulation et la complémentarité créatrices entre les disciplines, des sciences dites dures aux arts, plutôt qu’à les opposer. Le recours à l’épistémologie, (Que savons-nous ? Comment le savons-nous ?), est plus que jamais nécessaire pour favoriser la compréhension et cette créativité dynamique entre les disciplines source de toutes les avancées.

Le choix du cardinal Pierre d’Ailly et de ce texte particulier Concordantia astronomie cum hystorica narratione, daté de 1414) s’inscrit en plein dans le contexte de la tension, variable, entre science, théologie et astrologie. Pierre d’Ailly, en effet, fait appel à une démarche empirique pour aborder l’astrologie, mais en même temps, il unit, précise Denis Labouré, « un temps astronomique et un temps eschatologique ».

Denis Labouré cherche à identifier les sources des débats, les repères, les contextes historiques, permettant de comprendre la pensée de Pierre d’Ailly. Il analyse le texte lui-même. Enfin la troisième partie de ce mémoire, évoque « les rapports entre la puissance absolue et la puissance ordonnée de Dieu tels que Pierre d’Ailly les envisage ».

Notons qu’il est rare qu’un travail portant sur les rapports entre astrologie et théologie soit conduit par un chercheur maîtrisant les deux disciplines. C’est le cas de Denis Labouré. On sait l’importance du rapport au temps dans les questionnements ontologiques, toujours dans la perspective ouverte par la Concordantia, Denis Labouré pose cette question :

« Et si la nature déroule son devenir en toute autonomie, comment pourrait-elle nous renseigner sur les interventions de Dieu dans l’histoire ? Entre Dieu et le Livre du Monde, quel point de contact ? » Les réflexions qu’il nous propose méritent que l’on fasse davantage que s’y attarder. Ainsi : « Le temps est une incessante succession de « maintenant » non additionnables (ils ne fusionnent que dans le psychisme, par la mémoire). Ils se substituent sans cesse l’un à l’autre en s’excluant. A chacun des moments de ma vie, un seul « est ». (…)

L’éternité n’est ni la prolongation indéfinie d’un état présent, ni une succession indéfinie d’instants. L’éternité n’est pas une durée « infiniment longue », c’est une durée sans longueur. C’est un unique instant, riche d’une vie sans terme, sans devenir. L’éternité, c’est la non-phénoménalité quant au temps. Si Dieu est éternel, c’est parce qu’il ne dure pas (ou parce qu’il dure toute sa durée à la fois). Il y a un unique existant que nous pouvons appeler « le monde-maintenant ». Le monde du « maintenant » précédent a disparu. Il est remplacé par « ce monde-maintenant » qui vient tout juste de lui succéder. Le souvenir même, qui en est la trace dans la mémoire, est un souvenir présent, une partie de « ce monde-maintenant ». Ce « monde-maintenant » est lui-même en train de passer, parce que « l’être-passant » est son essence même, pour être remplacé à son tour par un nouveau « monde-maintenant ». Et ainsi de suite indéfiniment (…) L’instant présent est ainsi le « lieu » (et le seul lieu possible) de notre délivrance. Il est le lieu même de l’éternel qui, seul, est vraiment « instantané ». Il ne comporte aucune succession, dont aucun « anéantissement », comme en témoigne l’irruption du « ciel nouveau » et de la « terre nouvelle ». (…) Si la tradition chrétienne est opposée à l’idée d’une répétition des cycles à l’identique, à cause de l’unicité de l’événement-Christ dans l’histoire humaine, elle est aussi étrangère au dilemme « circularité ou linéarité ». La clef de cette conversion réciproque du circulaire et du linéaire, c’est l’avènement du Logos, l’éternité devenue temps afin que le temps devienne éternité. » Denis Labouré, par ce travail rigoureux, réintroduit le discours symbolique pour briser le clivage entre deux crispations, l’une scientiste, l’autre théologique. L’astrologie peut alors se constituer comme un espace de liberté où la science et la théologie, respectueuses d’elles-mêmes, et conscientes de leur spécificité, de leurs forces, mais aussi de leurs limites, peuvent renouer un dialogue fécond, repoussant les frontières des savoirs en offrant de nouveaux paradigmes.

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