Montmartre est devenu un mythe au fil des temps. Il fait partie de l’imaginaire de la poésie, de la littérature, de la chanson, du cinéma, de la peinture, non seulement par et à travers les personnalités qui ont fait Montmartre et ses réputations mais aussi dans la présence de ses habitants ou habitués, ceux qui sont l’âme de ce quartier parisien unique au monde.

Quand Montmartre est évoqué, ce sont les images du début du XXème siècle qui s’imposent, les années insouciantes, du moins en apparence, une frivolité trompeuse à la fois célébration et déni de réalité. Quel que soit le Montmartre appelé, aussi différent soit-il d’un regard à un autre, la liberté, toujours, le caractérise.

Alexis Boucot, lui-même familier de Montmartre, évoque le Paris de 1900, celui de l’exposition universelle, de l’art nouveau et le Montmartre, alors village, butte terrain de jeu, de la Belle Epoque. Son Montmartre, porte magique, est à la limite du réel et de l’autre monde. Joane et ses amies, pensionnaires d’un orphelinat et Valgar le magicien, entraînent le lecteur dans un va-et-vient entre réalisme et fantastique. Il fait aussi se mêler des personnages qui ne sont destinés qu’à se croiser, besogneux du jour, fêtards de la nuit, exclus et nantis…

Joane Per, héroïne décalée, explore les recoins de la Butte, les lieux improbables et se rend au mystérieux Château des Brouillards qui a bien existé autrefois. Alexis Boucot fait revivre pour nous un Montmartre qui a vraiment existé et que manifestement il aime. Il fait référence aux « signes et prodiges apparus sur Montmartre le soir du dimanche douzième septembre 1621» qui alimentèrent les chroniques de l’époque et les légendes de la Butte.

L’alliance entre les enfants de l’orphelinat et le magicien Valgar permet aux enfants d’échapper à l’enfermement et de se découvrir en même temps qu’un monde étrange s’offre à eux.

« Un courant d’air d’une grande force passa autour d’eux. Un champ magnétique saisissant traversa la crypte de part en part comme un fluide magique teinté de vert. Alors, le visage de Valgar leur apparut. Cette fois encore, l’image était toute vaporeuse et très incertaine, comme l’idée que l’on peut se faire d’un revenant. L’ensorcellement entravait cette manifestation surnaturelle ; à l’oeil nu, on voyait cette force contraire agir et se retranscrire dans le filet ligneux de ses veines qui bleuissaient fortement. Son esprit luttait. Toute son énergie était concentrée dans cette ultime intervention qui ressemblait fort à l’une de ces images projetées par le cinématographe. L’image du magicien n’avait pas d’ailleurs une expression démesurément sage et philosophique, si bien que sa contemplation provoqua un murmure admiratif. Puis, de sa voix vibrante et sonore, quasi désincarnée, il s’adressa aux enfants immobiles, saisis de respect. Le temps était compté, mais sa prise de parole s’entrecoupait malheureusement de silences :

- Jeunes gens, vous vous êtes rendu de bon gré dans mon sanctuaire afin de me prêter la main et je vous en suis tr… reconnaissant. Mais le temps pres… et je ne peux vous enseigner les… occultes et les fondament… de la mag… des limbes pour me sortir de ce trépas. Les forces d… mal sont à nos portes et menacent notre monde, gagnant jour… de plus en… Si la magie ancestrale dont je suis le gardien et digne représentant n’est point rétablie... »

L’intrigue originale et fort réussie de ce troisième roman de l’auteur sert une évocation forte de l’esprit de Montmartre, de ses subtilités, de ses contradictions, de ses lumières et de ses ombres. L’appareil de notes, limité mais pertinent, permet au lecteur peu familier de la Butte et de ses mystères de plonger dans l’ambiance équivoque du lieu. A découvrir.

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