Cet ouvrage, consacré au 4ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, rappelle à tous qu’un rite n’a de sens que par sa mise en œuvre opérative. Gérard Jarlan insiste avec raison sur la nécessité d’une ascèse sans laquelle la mondanité l’emporte nécessairement. A ceci s’ajoute, très justement, l’apport d’une étude herméneutique que Gérard Jarlan prend le temps de définir et développer.
« Comprendre, dit-il, c’est connaître un intérieur à l’aide de signes perçus de l’extérieur. Il s’agit là d’un processus grâce auquel on peut connaître un aspect d’ordre psychique avec l’aide de signes sensibles qui en sont la manifestation. L’interprétation ou l’exégèse interviennent comme art de comprendre les manifestations vitales fixées d’une façon durable, nous dit Dithley. (…)
La pratique herméneutique doit permettre de comprendre, à l’aide de mots et de combinaisons de mots, l’ensemble d’un ouvrage. (…) La tâche herméneutique va consister alors à énoncer les conditions dans lesquelles toute tentative de compréhension engendre l’explication supposant à son tour une parfaite compréhension. On a donc affaire à ce que l’on pourrait appeler une méthode créatrice menant à l’interprétation alliée à l’explication. »
Ces deux aspects, herméneutique du rite et ascèse constituent le procès initiatique. D’une certaine manière, nous pourrions aussi parler du corpus et des praxis.
Considérant le 4ème degré du REAA comme « base de la perfection initiatique », Gérard Jarlan entreprend « une réflexion d’ordre herméneutique sur trois principaux aspects que ce degré comporte afin d’en mieux comprendre la portée. Ces aspects sont l’arbre de vie, en raison des références à l’hébreu ou à la kabbale dans certains rituels du REAA, la notion d’imaginal selon Henry Corbin, en raison de l’importance de cette source dans certains travaux et enfin l’apport des œuvres de grands penseurs à la compréhension de certains points des rituels de Dante à Paul Ricoeur en passant par Spinoza, Böhme ou Montaigne, entre autres. Un travail que nous aimerions voir dans tous les rites et qui donnerait sens à la démarche maçonnique.
L’interprétation des mythes ouvre des perspectives nouvelles. Gérard Jarlan observe et étudie quatre influences traditionnelles majeures à l’œuvre dans le REAA : influence égyptienne avec référence à l’alchimie et la magie ; influence hébraïque par référence à l’Ancienne alliance et à la kabbale ; influence chrétienne de la Nouvelle Alliance ; influence templière par référence à la Chevalerie. Il interroge des notions élémentaires dont l’étude est souvent bâclée d’un point de vue initiatique, tradition, liberté, temps, justice, vérité…
Avant de conclure, Gérard Jarlan consacre un chapitre à Spinoza, si précieux et si incompris nous dit-il. Il y a un recours permanent à Spinoza possible et c’est une chance pour tout individu engagé dans un chemin initiatique quel qu’il soit :
« Spinoza nous transmet, par son œuvre, ce que l’on pourrait appeler une philosophie de l’éternité. Le monde vrai est sans origine et sans fin ; La vérité est éternelle et l’intelligibilité absolue est réalisée dans la pensée de Dieu. L’esprit, nous dit Spinoza, rejoint son lieu naturel qui est l’éternité par une conversion au vrai annulant le monde temporel où l’on trouve le péché, l’erreur et la misère du subjectif et de l’individuel. Ainsi l’individuel meurt-il mais c’est la pensée qui vit. Avec Spinoza, nous avons affaire à une philosophie vivante, c’est-à-dire à une parole qui résonne en nous en tentant de supprimer toute forme de dogmatisme, en nous montrant qu’il est possible de chercher la lumière non dans les vicissitudes de l’histoire et le perfectionnement des institutions politiques et sociales, mais dans une contemplation infinie de l’éternité. »
Ce livre est sans doute l’un des plus intelligents de l’année dans le domaine maçonnique. Il réconciliera les très nombreux Francs-maçons qui doutent que quoi que ce soit d’initiatique soit réellement envisageable en Franc-maçonnerie avec leur propre démarche.
« Nous pensons, conclut-il, que la tradition et la foi, telles qu’elles sont mises en relief au sein du REAA, représentent les garants nous permettant d’assurer la hiérarchie des valeurs dans un monde multiforme en état de constante inquiétude et parfois aveugle dans son choix de celles-ci. Certes, il est difficile de modifier l’incohérence du monde profane mais le rite nous permet de sauvegarder ce qui nous est propre, c’est-à-dire notre temple intérieur.
Il y a nécessité d’opérer une remontée vers le spirituel amenant l’initié à combattre l’image des archontes représentant ses propres concepts en sous-tendant l’idée d’une redistribution contraire à l’idée gnostique, intéressé surtout par la réintégration individuelle au Plérôme sans chercher à dissiper le mystère mais à l’intérioriser, ce qui ne peut être fait que par l’intermédiaire du mythe. »
Un livre important.