Moi, Howard Philipps Lovecraft à New York de Jacky Ferjault

Jacky Ferjault, spécialiste de Lovecraft, poursuit la biographie romancée de cet auteur hors norme à l’œuvre fascinante avec cette fois sa période new-yorkaise, d’avril 1923 à janvier 1936.

En exploitant la correspondance de Lovecraft et les archives de l’époque, il restitue l’ambiance et le quotidien de l’auteur : son mariage et sa vie avec Sonia Greene, ses amis écrivains, ses déambulations dans les rues de New-York, véritable personnage central de l’essai de Jacky Ferjault. C’est en effet la New-York des années 30 que nous découvrons à travers les yeux de Lovecraft.

L’un des grands intérêts de l’ouvrage est d’approcher la complexité de la vie d’auteur, réalisations, doutes, contre-temps, etc., que peu de lecteurs imaginent malgré la multiplication d’émissions de télévision dites littéraires qui ne sont le plus souvent que des médiocres faire-valoir. Les processus de création sont rarement linéaires et sereins.

« Lorsqu’il me contacta, il s’agissait pour moi d’écrire une nouvelle mettant en scène le magicien Houdini, qui ne m’avait pas encore été présenté bien que – ou peut-être parce que – fort célèbre – d’après une vague idée suggérée par celui-ci – son enlèvement alors qu’il visitait les pyramides d’Egypte. Je vous passe les péripéties qui émaillèrent mes recherches documentaires. Je passai en effet beaucoup de temps à la bibliothèque, compulsant de nombreux ouvrages depuis La tombe de Perneb, une publication du Metropolitan Museum of Art de New-York jusqu’aux Nuits de Cléopâtre (Théophile Gautier, 1838). Mais je me dois de vous narrer plus en détail la dernière. Le 2 mars, j’avais tout bouclé et m’apprêtai à prendre le train de 11h09 pour New-York lorsqu’une chose incompréhensible et dommageable pour moi se produisit : je perdis le tapuscript de Prisonnier des pharaons, mon travail d’un mois.

J’avais veillé du samedi au dimanche pour faire, en hâte, le fastidieux travail de dactylographie.

J’essayai en vain de me rappeler où j’aurai pu le poser et l’oublier. Et à présent le fruit de mes efforts était perdu. J’en fus obnubilé durant tout le trajet au cours duquel je contemplai le paysage sans vraiment le voir.

Naturellement, je m’ouvre, dès mon arrivée à New-York, à Sonia de ma déconvenue – la belle enfant est venue m’attendre à la gare. Je peux, encore que je n’en doute point, compter sur sa sollicitude. Tout en me donnant le bras jusqu’à ce que nous abordions les escaliers du métro, elle me dit que nous allions vite nous mettre au travail pour reconstituer du mieux possible le tout… »

L’écriture s’inscrit dans le rythme des événements communs de la vie. Elle s’y oppose, se concilient avec eux ou les détournent à ses propres fins. L’auteur, l’intellectuel, demeure inscrit dans le ballet du vivant. Il est intéressant de voir comment Lovecraft reste conscient de ce fait, tout en voulant parfois l’ignorer.

Le travail de Jacky Ferjault éclaire l’œuvre de Lovecraft de la réalité de l’auteur et de l’homme. Le choix, risqué, de la biographie romancée, se révèle pertinent. En estompant la limite supposée entre le créateur et sa création, il établit un continuum littéraire entre la vie même de l’auteur et ses écrits.

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