La méditation Ajikan de Taikō Yamasaki

Dans le Mikkyō c’est-à-dire le bouddhisme ésotérique japonais, le secret ésotérique n’est pas un savoir transmis à de rares initiés, il réside dans notre capacité à entendre l’enseignement qui est déjà là. La méditation sur la lettre sanscrite « A » incréée, non née, y occupe une place centrale. Ajikan est avant tout un mode de réalisation pratique de notre sublime être cosmique.

Fondée sur le grand Sutra Dainichi-Kyō, cette pratique condense les éléments de toutes les autres pratiques, elle permet de réaliser la plénitude de la réalité originelle. Le secret est simple, la voie est simplicité. 

« Assis tranquillement en méditation, je prononce le shingon (mantra) « A » monosyllabique de Dainichi Nyorai (« Bouddha Grand Solaire » représentant l’univers) qui puise sa source dans l’univers infini, « A » grâce auquel la vie m’a été donnée. Lorsque l’univers et la respiration fusionnent, l’esprit lui-aussi fusionne peu à peu. […] L’esprit (Sublime Être Cosmique) est l’acteur qui permet la réalisation de la partie la plus profonde de la conscience. […] Par la méditation Ajikan je peux faire l’expérience de l’élargissement progressif de mon esprit […] et atteindre un état sublime où ce disque devient l’univers entier ».

Ceci est la première porte de la méditation Ajikan. Avec la pratique nous découvrons une « personnalité universelle » dont la nature est fondamentalement pure, illimitée et altruiste. Cette pratique est simple et exigeante, elle mobilise toute l’expérience de nous-mêmes et de l’univers. C’est pourquoi la méditation Ajikan est restée confinée pendant 1200 ans dans les temples et inaccessible aux laïcs. Elle utilise pour support la méditation sur le disque lunaire (l’esprit, la lumière de la sagesse rigoureuse de Dainichi Nyorai), le lotus (corps, vertus de la douce compassion) et la lettre « A » incréée, source et réalité ultime de toute chose.

Ce livre est le premier en langue française sur le sujet. Son auteur, Yamasaki Taiko est Grand Maître, Grand Dignitaire et pratiquant de la tradition Shingon, professeur émérite d’une grande université japonaise, expert en Yoga. Il a notamment effectué la très rigoureuse ascèse Gumonjihō. Son livre est conçu de manière très pédagogique. La première partie pose les bases théoriques, la deuxième passe en revue les pratiques, notamment la manière d’harmoniser corps, souffle et énergie, la troisième introduit de manière méthodique la pratique de la méditation Ajikan dans ses trois aspects : Asukokan, Gachirinkan et Ajikan.

Alors que le bouddhisme exotérique part de la condition de souffrance de l’homme du courant, le Mikkyō considère que, depuis le début, nous résidons dans le « Sanctuaire de l’Eveil » et que si on l’on réalise immédiatement cela, les masses des nuages qui arrêtent les rayons de la lune vont révéler sa majesté. « Tout est état de Samadhi de Dainichi Nyorai, si l’on considère les choses à partir du dixième niveau (l’Esprit de secrète Majesté qui est la quintessence du Mikkyō) ». Les Sutras du Mikkyō (Dainichi-kyō et Kongōchō-kyō) enseignent que « la lumière de la Sagesse éclaire jusqu’aux choses les plus infimes. Sous son action les hommes deviennent Bouddha, Bodhisattva, Myōō (rois de science). Ils se respectent et s’aiment, au-delà des différences. Dans ces Sūtras se déploie un monde dynamique, empli d’harmonie, un monde idéal que les êtres égarés ne peuvent imaginer, quels que soient leurs efforts. Ce monde est précisément

l’éveil conservé dans le cœur de Sakyamuni. Ce monde, c’est le Mandara ».

L’éveil est une dimension qui échappe aux contingences de l’histoire, qui dépasse les limites spatio-temporelles. C’est pourquoi dans le Mikkyō on adopte librement une position vaste, infiniment vaste, jusqu’aux confins de l’univers. « Alors qu’avec le Kengyō, (bouddhisme exotérique) le pratiquant s’emploie entièrement à pacifier les activités du corps, de la parole et de l’esprit, dans le Mikkyō, on manie habituellement les Trois Secrets, ceux du corps, de la parole, et de l’esprit au moyen des mūdras, les sceaux formés avec les mains, de la récitation de shingons (mantras) et de la fixation de l’attention sur des objets mentaux (lune, lettre A.…) ».

Méditer sur Aji (lettre « A ») conduit à la sagesse non surgie, enseignement de tous les dharmas à l’origine incréée. « Là où les complexes ascèses du Mikkyō comptent de nombreux shingons et sceaux, alors que Gumonjihō est placée sous le signe de la difficulté, Ajikan se distingue par sa simplicité et sa facilité. Pour autant Gumonjihō et Ajikan convergent en un point essentiel : elles constituent le moyen le plus simple pour approfondir Sanmai ». L’aspect superficiel de la lettre « A » consiste à attribuer à celle-ci le sens de mère de tous les sons et à voir ainsi que toutes choses sont vides et inexistantes. En réalité, il y a trois sens véritables pour « A » : le sens d’existence (source originelle), celui de vacuité (pas d’existence autonome fixe) et celui d’origine incréée (l’état de vérité unique entre les deux états précédents). C’est la Voie médiane.

Du point de vue pratique, le Mikkyō accorde beaucoup d’importance aux mūdras, les sceaux formés avec les mains qui sont tout sauf des gestes anodins qui traduisent une attitude interne. La pratique de la lettre « A » constitue le cœur du Mikkyō. Celle-ci prend vie et se déploie sous trois aspects :

• Asokukan : la respiration consciente qui relie l’individu à l’univers à travers la phonation du « A ».

• Gachirinkan, la méditation sur l’unité du pratiquant, de l’univers et des qualités d’éveil (pureté, fraîcheur, clarté, infinité…) du disque lunaire qui n’est rien d’autre que l’esprit d’éveil du Bouddha en nous et dans l’univers. « La lune n’est autre que notre esprit. Notre esprit n’est autre que la lune. […] Nous ne sommes en pensée que sur le disque lunaire, sur rien d’autre. Si l’on s’applique uniquement à cela, inébranlable, on pénètre la sagesse universelle et s’établit dans l’état de diamant. Si l’esprit vient à se disperser, il faut le contrôler et l’interrompre. S‘il vient à sombrer ; il faut le clarifier… ». Grâce à la méditation sur le lettre-germe sanskrite, Gachirinkan permet de faire croitre en nous « le germe de la nature du Bouddha dont nous sommes dotés dès l’origine ».

• Ajikan est la forme aboutie de Asokukan et de Gachirinkan. La contemplation en sensation de la couleur, de la forme, des vertus de la lettre « A », du lotus et du disque de la lune éveille les vertus de l’esprit et conduit à l’éveil de l’origine incréé de toute chose. Son propre esprit, le corps et l’univers sont vécus non séparés, incréés, vides et infinis. « Voir l’origine incréée c’est connaitre toutes les sagesses. […] Au sein du non-soi est obtenu le Grand Soi ». La pratique de Ajikan permet l’union mystérieuse du Plan du Diamant (Kongōkai) représenté par le disque lunaire et du plan de la Matrice (Taizōkai) représenté par le lotus. « A », son propre esprit est l’équilibre incréé Nini Funi (deux, cependant non duel). La présentation technique et opérative est complétée par l’évocation d’autres pratiques usitées dans le Mikkyō : la méditation sur le disque des lettres, la médiation sur les lettres-germes et la marche méditative.

Taikō Yamasaki insiste sur la complémentarité de la pratique et de la doctrine et tout particulièrement sur le fait qu’il faut abandonner les pensées sur l’enseignement pendant la méditation. « Il s’agit uniquement d’éprouver au niveau sensoriel, naturellement de tout son corps, la pureté du lotus, la fraîcheur du disque lunaire. C’est là le secret qui fait s’accomplir la méditation ». « Vivons chaque jour, établis dans le sentiment de Aji, dont nous sommes issus et vers le foyer duquel nous retournerons ».

Cet essai est à méditer et à expérimenter. C’est à la fois un corpus et une contribution majeure à la spiritualité et à la survie de l’humanité. Au fur et à mesure que l’on entre dans le propos de l’auteur on s’aperçoit que Ajikan est le début, le milieu et la fin de la Voie. « A est porteur de toutes les vertus ». Sa pratique permet d’intégrer les secrets les plus profonds de l’être et de la vie, en particulier le fait que le soi est Nini Funi (deux, cependant non duel).

Pour peu qu’il communie avec l’intention d’éveil prônée par le Mikkyō et s’essaie un peu à la pratique décrite dans le livre, le lecteur attentionné, comprend pourquoi cette méditation, bien que secrète en ses développements internes, est si importante pour l’homme perdu dans les périphéries séparatrices et aliénantes du monde postmoderne : elle relie l’homme au centre vivifiant et régénérateur de toute chose et crée le pont entre le particulier, l’universel et le divin.

Retrouver cette source de vie, de joie et de lumière est donc aussi un enjeu de survie pour l’humanité. « Il faut que l’humanité progresse davantage qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent vers la conscience du fait que la nature et l’humanité sont toutes deux nourries d’un seul et même courant d’énergie vitale ». « A cet égard, Ajikan a un très grand rôle à jouer, en permettant de dépasser les notions de nation, de peuple et de religion ». « Ajikan est en fin de compte la méditation la mieux adaptée à l’homme moderne ».

Osera-t-il, saura-t-il en sonder et en vivre pleinement les Précieux Trésors ?

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