Les pas des Francs-maçons de Joël Jacques

Joël Jacques remarque qu’un certain nombres de composants du thésaurus de la Franc-maçonnerie sont partagés par d’autres courants traditionnels, notamment moyen ou extrême-orientaux et prennent appui sur des formes de pensée parfois très archaïques, c’est le cas pour les marches maçonniques. Mettre un pied devant l’autre, nous dit-il, n’est pas anodin.

Si les rituels antérieurs à 1750 et les Anciennes Charges de la Franc-maçonnerie ne disent rien du pas maçonnique, Joël Jacques note les liens particuliers entre la Franc-maçonnerie et les sociétés musicale sou de danse. Le pas, le mouvement, viennent s’inscrire dans une chorégraphie harmonieuse. Leur fonction est essentielle : « Il s’agit, au gré de la marche, de partitionner le réel afin de permettre aux adeptes de passer d’un monde à un autre.

Cela représente une forme d’affirmation d’un état différent par rapport au quotidien. (…) Les pas pratiqués afin de pénétrer dans l’univers collectif ainsi formé sont le moyen de prendre connaissance du nouveau monde. (…) Les pas, pratiqués par le Franc-maçon désireux de rejoindre le groupe formé en Loge, sont le moyen de franchir des portes autodéfinies pour aller vers le centre, le point à partir duquel nul ne saurait se perdre. »

Ces quelques mots suffisent à rappeler où se situe l’opérativité maçonnique. L’inscription consciente du geste, et de la parole, dans un respir conscient, permet de passer de la linéarité de la scénographie à la verticalité du rite. Les pas participent de ce rythme fondateur. Joël Jacques plonge dans les traditions et fêtes anciennes à la recherche des fondamentaux de la danse sacrée, danse de passage, danse de rappel ou danse d’ancrage, toujours orientées pour le retour à notre état originel. Les pas sont symboles, non pas des symboles qui « re-présentent » mais des symboles qui « re-créent ».

« En effet, nous dit Joël Jacques, au cours de notre étude, il devient évident que les signes ne sont plus uniquement destinés à porter le groupe vers une forme unique et structurée mais bien de transmettre un message sans possibilité de retour en arrière, ni même, spéculation, d’éclairer sur l’homme lui-même. Le temps, l’Être et la Parole, tout cela explique que l’usage du langage symbolique revêt un caractère particulier, car il permet de pénétrer dans l’univers mystique de la construction du lieu Sacré : Univers, Création, Village, Ville, Maison, Temple.

Tout ce qui détermine des critères du Monde lève les doutes sur l’existence même des êtres puisque c’est par le langage qu’ils seront définis. » Les pas relèvent du jeu de miroir de la création comme de la re-création. S’il s’agit de « franchir le voile en quelques pas », il s’agit aussi d’un renversement, d’une rupture de temporalité, du passage de la dualité à la non-dualité, ce qui ne peut se faire sans claudication, non-dualité dans laquelle la danse est absolument libre, à la fois conciliation cosmique et célébration du rythme divin.

Joël Jacques insiste, à raison, sur le rituel comme danse : « Les danseurs tournent autour d’eux-mêmes et autour de la salle, ils tournent autour de ce qui est en haut et de ce qui est en bas. Ils tournent autour d’un centre d’où nul ne saurait se perdre. C’est ici l’homme qui tourne autour de son centre, il est son propre cœur mystique, il représente les astres qui tournent autour du soleil et donne son véritable sens au Semâ, celui d’une répétition infinie de la création du monde et de l’affirmation que l’homme en est l’axe central. Les trois mouvements des pieds de la danse sont le moyen de pénétrer au cœur de cette création. »

Ce travail de Joël Jacques est tout à fait remarquable. Il ne s’agit pas d’un simple essai symbolique sur les pas des Francs-maçons, il s’agit, en théorie et en pratique, de la mise en œuvre opérative des pas dans une co-création, avec Dieu ou les dieux, du monde ou des mondes.

Il restaure la marche dans sa finalité opérative qui peut, qui doit, conduire au centre.

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