Parmi les nombreux ouvrages maçonniques qui sont publiés chaque année, nous aimerions attirer votre attention sur celui-ci qui tranche avec la morosité maçonnique qui encombre les rayons des libraires, à la fois par son originalité et par sa profondeur.

Francine Cheney est d'une rare honnêteté dans un milieu où, faute de véritables praxis, il est on ne peut plus commun de se mentir à soi-même. Francine Cheney raconte la Franc-maçonnerie, féminine notamment, à travers son expérience, parfois exaltante, parfois pesante :
"On entre en franc-maçonnerie pour y vivre, non pas autre chose, non, pour vivre tout simplement. Mais autrement. On y vit ses passions, ses déceptions, ses enthousiasmes. On s'y aime, on s'y déchire ; autrement. Des femmes ont une expérience commune mais individuelle. Je comparerai l'initiation maçonnique à un accouchement. [...] Ces femmes ont en commun une expérience individuelle. Elles vont se retrouver régulièrement, et ensemble elles vont accomplir une rituélie qui inscrira leurs rencontres dans un temps et un espace particuliers, placés en dehors, in illo tempore, dans l'époque et le lieu des légendes. Deux fois par mois, elles entrent de plain-pied dans un royaume endormi qui prend vie par la magie d'un rituel qu'elles animent en le pratiquant. Et voilà que ces femmes se révèlent et dévoilent peu à peu des personnalités inattendues."
Ecrit à la manière des Caractères de La Bruyère, le texte, alerte, intelligent, témoigne autant qu'il interroge sur la réalité maçonnique. Francine Cheney pose de vraies questions, celles qui mettent en Queste, celles qui dérangent, celles qui déséquilibrent pour le plus grand bien. En effet pas d'initiation, pas d'éveil sans déséquilibre accepté, sans folie contrôlée, sans révolution. Or la plume de Francine Cheney décrit avec précision une franc-maçonnerie féminine largement paralysée par des préjugés, des crispations, d'ailleurs très masculins. Avec humour, mais aussi avec un grand respect, à la fois pour l'institution maçonnique, et pour les Soeurs, elle met au jour le malaise qui règne dans la Franc-maçonnerie féminine en France, prolongement du malaise encore plus grand qui a envahi la Franc-maçonnerie des "hommes". Ce livre pourrait être salutaire, sinon pour l'institution, mais pour quelques Soeurs, et quelques Frères, qui n'ont pas encore oublié, sous le torrent d'immondices que déverse ce monde, le diamant pur de leur réalité la plus élevée.
Ce livre sera mal reçu par le milieu maçonnique institutionnalisé. C'est là sa chance et la marque de sa valeur. Voilà un texte qui réveille, et c'est bien de cela qu'a besoin une Franc-maçonnerie fatiguée. Il conviendrait plutôt de saluer le courage de Francine Cheney et de la lire, ou de l'écouter jusqu'au bout :
"De tout ce que l'on vient de lire, on aurait tort de déduire que je critique la franc-maçonnerie ou de manière plus étroite la franc-maçonnerie féminine. Non, on ne renie pas un engagement de près d'un quart de siècle. La franc-maçonnerie, c'est ma vie d'adulte. Chacun en pense ce qu'il voudra, mais ce que je suis, je le dois autant à l'initiation maçonnique qu'à ma vie professionnelle, familiale, amoureuse. La franc-maçonnerie a oeuvré en moi sur trois plans. J'y ai connu des personnes à côté de qui je fusse passée autrement sans même deviner leur richesse ; j'y ai étudié des comportements ; j'y ai compris des modes de fonctionnement tant individuels que collectifs ; je m'y suis affrontée à des institutions. Ce fut pour moi un inépuisable terrain d'expériences.[...]
Mais par delà ces deux plans où la vie maçonnique est une vie en plus des autres, il en est une troisième qui ne s'explique pas. La franc-maçonnerie est, sans conteste, une voie de réalisation spirituelle, car elle est comme l'écrivait Oswald Wirth, le panthéon des traditions disparues. Mais cette réalisation-là, beaucoup y sont conviés, certains l'entreprennent de bonne foi, et plusieurs s'y fourvoient. La démarche qu'elle propose est terriblement intime et solitaire, en cela réside le secret maçonnique. Chacun, pèlerin de son monde intérieur, y chemine seul."

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