C’est une réédition très attendue et, ô combien, nécessaire. L’œuvre, fondamentale, de Carlo Suarès tient une place à part dans le monde de la Tradition. Carlo Suarès s’est employé, ou plutôt consacré, à la libération des enseignements traditionnels des carcans dans lesquels les institutions tiennent à les enfermer. Il a voulu rendre à la vie ce que d’autres figeaient dans des statues mornes et stériles. Pour retrouver le courant, Carlo Suarès cherche naturellement la source. Ici, celle de la kabbale.

Dès l’introduction, par un exemple, il situe clairement la problématique qui est la nôtre : « Dès le début, la succession Beith-Reisch-Aleph-Schîn-Yod-Tâv, révèle d’une façon éclatante (si l’on connaît la clé de ce code) l’équation primordiale de l’univers et de l’homme en termes d’énergie, tandis que ce schème lu Bereschiyth, quelle qu’en soit la traduction, n’a pas plus de rapport avec ses idéogrammes, réduits à n’être que les initiales de leurs noms, que des mots formés par les symboles chimiques tels que SOC, etc. n’en auraient avec le soufre, l’oxygène, le carbone… »
Cette première remarque met en évidence la grande illusion dans laquelle baigne la presque totalité des sociétés initiatiques qui prétendent s’appuyer sur la kabbale ou qui parsèment leurs rituels de mots de la langue hébraïque dans une parfaite ignorance de ce qu’ils véhiculent.
Cet ouvrage est l’occasion de prendre conscience de ce problème et d’approcher la réalité de ce code chiffré sans lequel toute étude ou pratique kabbalistique est vaine. Carlo Suarès rappelle que les 22 signes de l’alphabet hébraïque forment 28 idéogrammes, 28 symboles, 28 nombres qui expriment certains aspects de l’énergie cosmique. Il insiste longuement sur la place singulière du Aleph. Il prend en compte le fait que « la langue hébraïque s’est constituée en n’utilisant que les premiers phonèmes de chacun de ces idéogrammes (B pour Beith, etc.). » Une lecture non avertie, même lue en langue hébraïque, ne permet pas de saisir « la signification que peuvent avoir des schèmes où chaque idéogramme est maintenu avec sa signification propre ».
« Cette entreprise est difficile, poursuit Carlo Suarès. Non seulement chaque idéogramme a un sens, mais il se compose lui-même d’autres idéogrammes, ayant tout leur sens, et qui sont reliés entre eux. Ainsi Beith se compose de Beith-Yod-Tâv. Yod se compose de Yod-Waw-Dâleth, lequel à son tour implique Lâmed, etc. »
Nous avons donc à décoder une cascade structurelle qui développe de manière infinie des niveaux de plus en plus subtils et profonds d’énergie et de sens jusqu’à toucher l’essence. A cette complexité s’ajoute celle induite par la correspondance entre idéogramme et nombre, nombre qui lui-même porte un nom.
Carlo Suarès, qui présente son livre comme une introduction et ne prétend nullement faire le tour de la question, propose trois grandes parties au lecteur. La première partie traite de la nature de la Qâbala, terme privilégié par l’auteur, ses dimensions multiples, ses applications, ses influences, ses investigations, ses interprétations, son caractère insaisissable. La deuxième partie expose succinctement la clé du code chiffré à travers la Genèse. La troisième partie traite du lien entre Qâbala et Gnose.
Dès l’introduction, il s’inscrit dans une indispensable approche non-dualiste et exprime ce qu’énoncent toutes les grandes métaphysiques traditionnelles :
« Entre le Aleph, pulsation discontinue vie-mort-victoire (ou être-néant-être-néant) et le Yod, continuité d’existence, se joue une partie : le jeu de la vie, de la mort et de l’existence, dans lequel les deux partenaires jouent l’un contre l’autre (sans quoi il n’y aurait pas de jeu). Mais ils misent tous deux le même enjeu : l’indétermination, le 7, le 70, le 700, que la Qâbala voit partout, dans le tréfonds du mouvement atomique, dans les galaxies, comme dans les impondérables qui constituent notre psyché. Découvrir le 7, 70, 700 en nous c’est nous ouvrir à la merveille de cette révélation, c’est percevoir d’un seul coup le prodige des apparences qui, de l’indifférencié primordial à l’indéterminé final, consomme toute la durée et nous transforme en êtres libres. Dès lors, le dualisme de notre pensée ne pose plus ses problèmes. »
Plus loin dans le livre, il précise encore :
« Une vérité fondamentale qui ne cesse d’être affirmée dans le Livre de la Genèse est que la vie, aussi bien à l’intérieur de ce contenant (Beith) qu’au dehors, est inconnaissable et immesurable. Si nous comprenons ce que cela implique, nous nous connaissons nous-mêmes et Beith est ce que nous sommes.
Donc nous ne possédons aucun des attributs rédempteurs de « spiritualité » qu’inventent les esprits en quête d’évasions.
Il n’y a pas de dragons obscurs en nous qu’il nous faut combattre, ni un mal qu’il nous faut vaincre. Et aucun régime alimentaire, aucune discipline physique ou psychique ne peuvent nous faire « évoluer » vers une pleine réalisation de nous-mêmes.
Ces efforts et ces luttes, quel que soit leur motif conscient, ont pour but d’instaurer une continuité d’existence et sont, de ce fait, perfidement en opposition à la pulsation discontinue de la vie qui est en nous, laquelle ne peut avoir son « être » qu’en une fraîcheur toujours neuve de morts et de résurrections. Cette vie, dans le livre de la Genèse, se nomme Aleph. »
Ce travail qui exige une étude, non une lecture, est indispensable à qui veut faire vivre réellement les outils de la kabbale. Il entrouvre la porte des mystères premiers et derniers. L’essentiel donc.

Editions Arma Artis

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