La psychologie ou la psychanalyse ne font pas souvent bon ménage avec la Tradition. Trop souvent, la psychanalyse, qui a tendance à investir le temple maçonnique depuis quelques années, ne fait qu’appauvrir et réduire la fonction symbolique. Ou encore nous observons une distance méprisante envers le corpus biblique ou tout autre corpus traditionnel.

Le travail de Moussa Nabati évite ces deux écueils. Il reconnaît la valeur intrinsèque du corpus biblique. Il ne prétend pas traiter de la dimension strictement initiatique par une interprétation psychanalytique des écrits bibliques fondamentaux. Il voit dans la Bible et la psychanalyse une convergence d’intérêt et de finalité, à travers des regards et des concepts différents, pour une réconciliation de l’être humain avec lui-même. C’est là, très exactement, la fonction thérapeutique, pré-initiatique, présente dans la Bible. Il s’agit de la reconstruction nécessaire du sujet, victime d’atteintes diverses à son identité ou à sa singularité. L’initiation, elle, traite de la dissolution du sujet pour laisser toute la place à l’être. Une autre quête.

« Adam et Eve, Caïn et Abel, Abraham, Isaac et les autres n’apparaissent plus, nous dit l’auteur, comme des personnages antiques, appartenant à un monde depuis très longtemps disparu, ou des fictions n’ayant existé nulle part ailleurs que dans l’imagination des conteurs. Ils sont en nous. Ils représentent une part de nous-mêmes, nos désirs, espérances et peurs. Ils sont surtout détenteurs et transmetteurs d’une leçon, d’une sagesse, d’un message pertinent et salvateur pour nous, les femmes et les hommes d’aujourd’hui, en quête de valeurs. »

Moussa Nabati analyse le jeu du couple et le jeu familial, dans l’écho d’un androgynat primitif mais aussi la dualité de Caïn et Abel, présents en chacun.

« Il ne serait possible de vivre avec autrui en paix que si d’abord ces deux côtés, opposés mais complémentaires, présents en chaque être sans exception, se reconnaissent positivement et s’acceptent ; l’un « abélique », féminin, matriciel, miséricodieux, bon, clément, dévoué, généreux, inquiet pour son prochain, et l’autre, en revanche, « caïnique », paternel, volontaire, conquérant, égoïste et indifférent à la souffrance de ses frères.

Tout conflit avec l’autre reflète, en définitive, d’abord une guerre civile, une déchirure interne, puisque nous sommes portés, sans en avoir conscience, à rabaisser, à rejeter, à malmener ou parfois à idolâtrer, à l’inverse, celui qui incarne précisément la facette que nous avons refoulée et qui nous manque donc pour être enfin nous-même, vrai !

Il faudrait en résumé, pour se reconstruire, renouer avec son identité plurielle. »

Puis, Moussa Nabati poursuit avec cette interrogation : « La ville est-elle un fléau ? », Caïn étant le premier constructeur de ville. Il interroge en réalité la fonction d’imitation et la fonction d’invention ainsi que le besoin d’identification à l’objet qui ruine toute liberté et toute sagesse. L’autre grande interrogation porte sur la fonction des interdits, régulateurs de notre liberté, réelle ou supposée.

Tout au long de l’ouvrage, et encore avec le thème du sacrifice d’Isaac, l’auteur traite du triangle familial, de son équilibre fragile, de ses dérives, de sa créativité.

Le dernier chapitre, qui conclut, momentanément, la pensée de l’auteur, s’intitule « Aimer son prochain comme soi-même ? » Le point d’interrogation est d’importance bien sûr. Moussa Nabati en propose six interprétations. A la sixième, il introduit un élément essentiel :

« Le texte ne dit pas « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », mais plus exactement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, je suis l’Eternel. ».

Pourquoi ce détail « Je suis l’Eternel », rappelé curieusement 14 fois dans le chapitre 19 du lévitique contenant notre commandement ? Cela signifie que les rapports intra-personnels, c’est-à-dire avec les autres, sont impossibles sans la médiation de la Loi. Cela signifie que l’amour de soi-même et celui du prochain sont inconcevables sans l’entremise de Dieu, le tiers symbolique transcendant. »

On voit tout l’intérêt de ce tiers au niveau psychologique. Mais nous en restons justement au psychologique, à l’horizontalité dualiste alors que nous sommes là à la porte de l’initiatique, non dualiste.

« Dieu n’est pas une personne ou un personnage, mais un symbole, disons très exactement une parole, sans doute conçue et élaborée par les hommes, au cours d’un cheminement très long, mais dont les humains ont indispensablement besoin, aujourd’hui plus que par le passé, pour se construire psychologiquement : sortir du tohu-bohu, de la matrice, pour se différencier et se mettre à distance de la pulsion. (…)

Dieu, c’est le non-moi, ce qui permet que je ne sois pas dieu, pour que je sois moi. »

Moussa Nabati, psychanalyste, psychologue et thérapeute, dessine, par interrogations et interprétations, une riche et dynamique représentation du chemin de l’individuation.

texte: Le Crocodile, https://lettreducrocodile.over-blog.net

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