Le thème de l'humilité est central dans la pensée eckhartienne. L'approche philosophique, théologique, spirituelle de l'humilité par Eckhart s'inscrit à une époque où s'opposent les "philosophes" aristotéliciens radicaux, partisans d'un aristocratisme intellectualiste et les "théologiens" de la béatitude céleste hostiles à l'humanisme philosophique.
C'est justement sur le thème de l'humilité que les deux courants vont s'affronter. La grandeur d'âme, la "magnanimité" de l'aristocrate face à l'humilité du chrétien et la vertu du mendiant.
Eckhart propose une toute autre voie. Il intègre "la contemplation philosophique" des uns et la "sagesse théorétique" des autres à la "divinisation du chrétien". Il met en avant la possibilité d'un rapport vivant de l'homme avec Dieu, ici et maintenant, rendu possible par les vertus: la pauvreté, l'humilité, la noblesse, et le détachement.
Alain de Libera nous rappelle quelle conception de l'humilité à Eckhart, conception qui n'est pas sans rappeler Saint-Martin:
"La parfaite humilité, au contraire, est intériorisation:
-elle vise l'anéantissement de tout le créé (y compris "la partie de l'âme qui est créée", sermon allemand 54a), elle vise le détachement, ce qui veut dire que dans cette perspective, l'anéantissement de soi ne désigne pas l'humilité mais le péché;
-elle ne s'incline pas sous toutes les créatures, mais seulement sous Dieu."
Enfin, citons Maître Eckhart:
"Il en va de Dieu comme du soleil au plus de sa profondeur sans fond, dans le fond de son humilité.
Oui! C'est pourquoi l'homme n'a pas besoin de demander (à Dieu), au contraire: il peut lui commander, puisque la hauteur de la déité ne peut regarder qu'au fond de l'humilité, l'homme humble et Dieu étant un et non deux. Cet homme humble a autant de pouvoir sur Dieu que Dieu a de pouvoir sur lui-même, et tout le bien qui est dans tous les anges et dans les saints est son propre comme c'est le propre de Dieu. Dieu et cet homme humble sont absolument un et non deux, parce que Dieu fait, il le fait aussi, ce que Dieu veut, il le veut aussi, et ce que Dieu est, il l'est aussi. Une vie et un être. Oui! De par Dieu, si cet homme était en enfer, Dieu irait le rejoindre en enfer, et l'enfer serait pour lui un royaume céleste."
texte: Le Crocodile, https://lettreducrocodile.over-blog.net