Ce livre, peut-être le meilleur de Damasio, est une brillante tentative pour approcher les neuro-sciences sous l’angle philosophique.

Au contraire de Descartes, Spinoza (rappelons-nous l’insistance de Deleuze sur Spinoza), plus célèbre que connu, refuse de séparer le corps et l’esprit et fait des émotions un médiateur privilégié. Antonio Damasio recherche donc chez Spinoza les concepts et les axes qui devraient fonder la neurobiologie moderne de l’émotion, du sentiment et du comportement social. Spinoza a traité de la nature des sentiments et des émotions et ses observations préfigurent les solutions des chercheurs.
« Très importante pour ce que je discuterai par la suite était son idée que pensée et étendue sont des attributs parallèles (disons des expressions) de la même substance. En refusant de fonder l’esprit et le corps sur des substances différentes, du moins Spinoza exprimait-il son opposition à la vision du problème de l’esprit et du corps qui prévalait à son époque. Son désaccord tranchait sur une mer de conformismes. Plus étonnante encore était son idée selon laquelle l’esprit et le corps sont une seule et même chose. Cela ouvre une saisissante possibilité. Il se pourrait ainsi que Spinoza ait eu l’intuition des principes régissant les mécanismes naturels responsables des expressions parallèles de l’esprit et du corps. Comme je le discuterai plus loin, je suis convaincu que les processus mentaux ont leur fondement dans les encartages cérébraux du corps, c’est-à-dire dans des structures neurales représentant les réponses aux événements qui causent les émotions et les sentiments. Rien ne pouvait être plus réconfortant que de rencontrer cette affirmation chez Spinoza et de s’interroger sur son sens possible.
Cela aurait été plus que suffisant pour alimenter ma curiosité sur Spinoza, mais autre chose soutenait mon intérêt. Pour Spinoza, les organismes s’efforcent, par nécessité, de persévérer dans leur être ; cet effort nécessaire constitue leur essence réelle. Les organismes viennent à l’être dotés de la capacité de réguler leur vie et ainsi de survivre. Tout aussi naturellement, ils s’évertuent à une « plus grande perfection » de fonctionnement, ce que Spinoza identifie à la joie. Tous ces efforts et ces tendances s’engagent de façon inconsciente.»
Ce livre est non seulement une entrée philosophique dans le monde de la neurobiologie mais une occasion d’approcher la pensée de Spinoza, une pensée originale qui reste méconnue, en lien avec la recherche contemporaine. Damasio envisage quatre Spinoza :
« Le premier est un Spinoza accessible, l’exégète religieux qui est en radical désaccord avec les Eglises de son temps, qui présente une conception nouvelle de Dieu et propose une nouvelle voie d’accès au salut humain. Ensuite vient le Spinoza architecte politique, le penseur qui décrit ce que pourrait être un Etat démocratique idéal peuplé de citoyens responsables et heureux. Le troisième Spinoza est le moins accessible de l’ensemble : c’est le philosophe qui s’appuie sur des faits scientifiques, sur une méthode fondée sur la démonstration géométrique et sur l’intuition pour formuler une conception de l’univers et des êtres humains en son sein. (…)
Mais il y a encore un quatrième Spinoza : le protobiologiste. C’est le penseur biologique caché derrière nombre de propositions, d’axiomes, de démonstrations, de lemmes et de scolies. »

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