Voici une approche originale d’un thème universel revisité et réactualisé comme sortie de la modernité.
L’auteur, Isabelle Cani, est agrégée de Lettres modernes et docteur en littérature comparée. C’est donc tout naturellement vers la fiction, littérature et cinéma, qu’elle s’est tournée pour identifier les grands éléments constitutifs du myhte du Graal :

« Le succès du Graal dans la littérature et le cinéma est un révélateur : ce mythe pourrait bien constituer un langage commun par lequel s’expriment des aspirations spirituelles largement partagées. S’y retrouvent en effet en toute liberté le goût de la transgression et de l’hétérodoxie, le désir de sortir de sentiers religieux qu’ont croit battus, la valorisation du relativisme et de la tolérance considérés comme les seules attitudes humaines acceptables devant notre ignorance de l’Absolu, la sacralisation de l’amour humain à travers le modèle d’un couple à refonder sur des bases tout autres. »
Des œuvres aussi différentes que celles de Hegel, George Sand, Tennyson, Wagner sont appelées pour témoigner du retour progressif du Graal après un « Âge où il n’y a pas de Graal » qui débute après le Quichotte et coïnciderait donc à la fin de la mode du roman chevaleresque. C’est ainsi, paradoxalement, avec la philosophie de Hegel que s’amorce le retour du Graal jusqu’à devenir un mythe du XXème siècle.
Très clairement, Isabelle Cani, veut considérer le Graal comme objet littéraire. Bien que publié dans la collection Bibliothèque de l’Hermétisme, la dimension strictement hermétiste est absente au profit de la dimension symbolique, qui lui est adjacente, et de la dimension littéraire. Ce travail n’en est pas moins intéressant. Isabelle Cani démontre la puissance génératrice du mythe dans les inconscients modernes et post-modernes et exprime parfois comme un écho de la dimension hermétiste. Ainsi à propos du couple :
« Une intuition très largement partagée, c’est que le mythe du Graal pose la différenciation sexuelle comme un mystère sacré, et qu’il s’agit alors de trouver avec le Graal la vraie destination du couple humain, non supposée connue, non réductible à ce qui est vécu communément par les hommes et les femmes. »
La queste du Graal est-elle devenue une quête à la fois individuelle et politique, volontairement incertaine, relative et inachevée du sacré dans une société moderne qui élève ses croyances et ses solutions au rang de vérités ? Une certaine forme de dissidence ? Une quête plus profonde ? C’est peut-être, selon l’auteur, ce que nous révéleraient les œuvres de fiction du siècle dernier.
« On peut enfin de voir dans la fiction un refuge ambigu du sacré, qui relève à la fois du leurre et du laboratoire. L’homme moderne feint le détachement et, par fiction interposée, s’éprouve lui-même devant le mythe, constate ce par quoi il est fasciné, ce qui en lui résiste. Si tant de versions contemporaines aboutissent à l’individu, c’est parce que le vrai bilan est là : non goûter dans des livres ou des films le sacré manquant et illusoire, mais mieux se connaître, avec ses envies, ses nostalgies, ses peurs et ses ombres, et localiser en soi la place vide du désir du Graal.
Ce retour du Graal ou du sacré est peut-être lié à la recherche de la part d’humanité dans l’homme. On a longtemps cru que c’était la raison. On en est revenu. En temps de modernité démaquée, on finit par se demander si, à l’inverse, ce ne serait pas le rêve. Le sacré réfugié dans la fiction va de pair avec des herméneutiques qui, à l’instar de la psychologie jungienne des profondeurs, voient dans les mythes, les rêves et l’imaginaire les plus riches et les plus précieux des événements, et le fondement d’une anthropologie ; elles sont symptômes elles aussi, avec le mythe du Graal, elles répètent que le plus précieux est ce qui manque. Lucien Febvre avait naguère appelé le XVIème siècle « un siècle qui veut croire », avec, pour la première fois une volonté tendue venant s’interposer dans l’acte de foi, quelque chose qui brisait l’évidence. En ce sens, à sa suite, il faudrait appeler le XXème siècle un siècle qui rêve de croire. »
Gaston Bachelard et son droit de rêver ne sont pas loin. Le kaléidoscope du Graal nous renvoie les multiples aspects d’une psyché étouffée à travers les véhicules les plus adaptés que le siècle des techniques aura mis à sa disposition, le livre et surtout le cinéma.
Cette lecture du Graal et de sa présence insoupçonnée est riche de surprises et d’enseignements. Elle dépoussière le mythe, lui redonne vie et invite à l’aventure.

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