La Divine blessure de Jacqueline Kelen, récemment publié chez Albin Michel, pose la question Faut-il guérir de tout ? Poser la question, c’est bien sûr déjà y répondre par la négative.

A contre-courant d’une idéologie thérapeutique et psychologique qui viserait au confort plutôt qu’à la joie, par l’évitement plutôt que par la conquête, Jacqueline Kelen nous rappelle la voie héroïque telle qu’elle est mise en œuvre dans les grands mythes traditionnels. C’est aux côtés d’Achille, d’Ulysse, de Philoctète, de Lancelot, de Tristan, d’Osiris ou du Christ, que le lecteur chemine en lui-même pour y découvrir les blessures sacrées, autant d’intervalles sur le Réel, autant d’accès à la source première de l’amour.
Avec la conscience, s’accroît la sensibilité, non la sensiblerie et son corollaire, la créativité. La force et la richesse de la fragilité résident dans l’obligation faite à l’être de sortir de la prison des représentations communes pour partir en queste de sa propre réalité. S’exposer pour mourir au conditionnement et renaître à soi-même, libre. L’initiation plutôt que l’éducation.
« Toutes les flatteries d’amour-propre invitent à rester à la maison, plus exactement dans la prison. Or, comme Platon l’a admirablement décrit dans le mythe de la Caverne, au septième livre de sa République, la plupart des mortels préfèrent rester entravés et actifs mais à l’abri, plutôt que de s’arracher aux reflets, aux illusions du monde, afin de contempler la source de Lumière. Voilà pourquoi ils restent des mortels.
L’éveil est un arrachement, une coupure irréversible. Le prisonnier de l’apologue platonicien qui, seul, s’est retourné vers le Réel en refusant l’empire de l’habitude et de l’ignorance, et qui s’est détaché du groupe des captifs, sera à jamais marqué par une déchirure qui est sa noblesse et sa singularité, qui signe aussi l’accès à l’Être. Ce retournement et cet éveil de conscience le séparent du commun des mortels, de la mortifère inconscience commune. Aussi est-il traité de fou ou de malade par ceux qui le croyaient des leurs. Non, il n’est plus leur semblable, leur congénère, il ne fait plus partie de ces gens qui se croient heureux, qui s’estiment tranquilles, il est un homme libre allant vers la Source, un esseulé allant vers le Solitaire. Il est marqué à vie car vive est la blessure de l’éveil. »
Cette queste ne peut se mener à bien, au Bien, que par l’alliance avec l’Eternel Féminin :
« Qu’on la nomme Sapience d’Amour ou Madonna Intelligenza, qu’elle apparaisse sous les traits lumineux de Nizhâm pour Ibn Arabî, de Béatrice pour Dante, de Doulce Mercy pour le chevalier Cœur, de Dulcinée pour Don Quichotte, celle que j’appelle la Dame à l’onguent n’est autre que le Féminin éternel qui est une Face, la plus belle, la plus compatissante, du Dieu caché.
Cette gente Dame souffre d’être méconnue de la plupart des mortels, elle vit les affres de l’éloignement tandis que l’homme ordinaire se croit entier et suffisant, ignorant de son propre exil. L’homme est séparé mais ne s’en rend pas compte : aussi doit-il être blessé afin de prendre conscience de la coupure. Tel est le sens profond à trouver dans les meurtrissures qui atteignent le chevalier en quête : en brisant l’enfermement dans lequel survit et se complaît le mortel ordinaire, elles ouvrent une voie de délivrance. Ainsi, paradoxalement, la blessure reçue par le chevalier est bénéfique parce qu’elle permet de réparer la coupure ontologique.
Dans les récits initiatiques, la Dame à l’onguent qui donne ses soins à l’homme blessé et lui permet de continuer sa route ne le guérit pas de façon extérieure. Elle répare la brisure entre l’homme et la femme, entre la créature et Dieu, entre le fini et l’infini, et aussi la scission entre le corps, l’âme et l’esprit. Autrement dit, elle unifie. Or qu’est-ce qui seul a pouvoir d’unifier et d’unir si ce n’est l’ineffable Amour ? »
Ce livre, traité d’initiation à l’Amour sur lequel plane l’esprit éternel de Marie-Madeleine, revivifie tant les formes de l’Aventure chevaleresque par l’enchantement que la queste sèche de l’éveil. Jacqueline Kelen donne à rêver, donne à penser, donne à réaliser enfin la Voie qui toujours demeure. Voix de la Voie.

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