C'est une personnalité exceptionnelle que nous allons découvrir par ce livre, en même temps que la culture médicale tibétaine qui, nous le savons, est d'une grande richesse. La médecine tibétaine constitue tout comme la médecine ayurvédique un fleuron des médecines traditionnelles. Tendzin Tcheudrak nous offre de découvrir cette thérapeutique à travers son expérience forte et profonde.
Tendzin Tcheudrak résista aux sévices des tortionnaires chinois, là où bon nombre auraient succombés. C'est en 1980 seulement qu'il décida de quitter le Tibet pour rejoindre le Dalaï-Lama dans son exil en Inde et reprendre ainsi ses fonctions de médecin personnel de Tendzin Guiatso, le XIVème Dalaï-Lama.
Au fil des pages, nous entrons progressivement dans ce Tibet que nous connaissons si mal. Les principes traditionnels qui tissent la culture tibétaine nous sont exposés en même temps que Tendzin Tcheudrak nous raconte la vie quotidienne de l'enfant-moine qu'il fut dans les années 30 avant de devenir un médecin tibétain pas tout à fait ordinaire, malgré sa grande simplicité.
Ce livre témoigne aussi de l'insoutenable : les atrocités commises par les Chinois avec la complicité de l'Occident pourtant rapide à dénoncer les exactions quand ceci sert ses intérêts économiques et qui a délibérément fermer les yeux devant le génocide du peuple tibétain. Aujourd'hui toujours !
Pourtant Tendzin Tcheudrak qui est allé jusqu'à soigner ses propres tortionnaires nous donne une incroyable leçon, non pas d'humanisme tel que nous l'entendons aujourd'hui de manière trop distordue, mais de spiritualité, d'inconditionnalité et de résistance :
"C'est vrai, j'ai éprouvé de la colère à l'égard des communistes chinois, mais plus encore des Tibétains, religieux ou laïcs, qui collaboraient avec l'occupant. Or, lorsqu'on est en colère, on perd tout contact avec la réalité. La colère a des effets destructeurs, engendre des pensées négatives, comme le désir d'infliger en retour davantage de souffrances. C'est par la ténacité et la patience que l'on arrive à dominer ces forces négatives. Lorsque les Chinois ou les Tibétains me torturaient, je pouvais perdre toute aptitude à raisonner, tout simplement parce que le sentiment de colère me dominait. Je me calmais lentement, et, finalement, je parvenais à contrôler mes pensées et la douleur physique. La méditation, des exercices secrets que nous appelons toumo et les récitations de mantras me permettaient d'endurer les coups et les matraques électriques."
Il réussit à préserver et à transmettre la grande tradition médicale tibétaine dans un contexte totalement hostile. Il lui fut particulièrement difficile de rassembler les ingrédients nécessaires à la fabrication des diverses pilules qu'utilise la médecine tibétaine, certains étant déjà fort rares en temps normal.
Disparu récemment, Tendzin Tcheudrak nous donne une formidable leçon de vie :
"Naître, c'est déjà, en soi, accomplir un pas vers la mort. Je pense souvent à la mienne, prochaine. Boudhiste, je la considère comme un processus naturel, une réalité que j'ai admise tout au long de mon existence. Nul ne peut y échapper, et je ne vois aucune raison de m'en inquiéter. Elle n'est pas une véritable fin.
Chaque instant qui passe me rapproche de ce moment. Je m'y suis préparé depuis fort longtemps, en essayant de mon mieux d'appliquer les enseignements du Dharma. En vivant les dernières années de ma vie dans la proximité de Sa Sainteté le quatorzième Dalaï-Lama, je mes suis rendu davantage encore à cette évidence : seules les pensées d'amour, de compassion et de bonté sont essentielles. Sur ce point, Tendzin Guiatso et le Mahatma Gandhi délivrent un même message : nous efforcer d'aimer aussi notre ennemi."
Éditions Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.
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