Les lettres rassemblées sous le titre Fleurs de vacuité ont circulé dans certains milieux chanistes ces dernières années. Elles traitent de « l’étude comme pratique dans le bouddhisme chan » et démontrent, s’il en était besoin, combien l’enseignement Chan est vaste, beaucoup plus hétérogène qu’on le pense, imprévisible et toujours empli de fraîcheur. Si le Chan est considéré comme voie directe, subitiste, à l’instar d’autres voies directes, elle ne rejette pas l’approche progressive ne serait-ce qu’en tant que propédeutique, ni l’érudition « comme un savoir opératif participant à la réappropriation en soi de l’humanité véritable ». L’auteur nous fait remarquer qu’il serait finalement trompeur de conclure, de rejeter ou de généraliser quoi que ce soit au sein du Chan, toujours attentif aux interstices, aux intervalles, aux passages inattendus ou même incongrus. Contre les préjugés ou les clichés fréquents à propos du Chan, l’auteur nous convie à l’étude des notions-clés et des termes spécifiques que nous rencontrons dans ce courant.
La première partie se présente comme un glossaire quand la deuxième partie consiste en un commentaire d’un texte de Nagarjuna, les « quatre alternatives ». La troisième partie rend compte d’entretiens entre le maître Guishan et son disciple Yangshan. Cet ensemble éclaire la pratique, prépare à la pratique et consiste aussi en une pratique, moyen habile peut-être.
Les notions-clés abordées sont : cœur/esprit, pensée, non-deux, intelligence/éveil, moi/je, voir, nature propre, vacuité, volonté, sapience. Chaque notion est abordée à travers ce que révèle les caractères chinois concernés et les environnements doctrinaux et culturels qui les développent ou les portent. Yen Chan puise dans les textes classiques, fait appel à des anecdotes et investit tant le langage que le rapport au langage.
L’ouvrage est marqué par le rapport entre « hôte et invité », dont le cœur réside dans la théorie de Nagarjuna dite « des deux vérités » soit entre substance et fonction, ou encore séparé et non-séparé.
« Le rapport entre ti et yong, la substance et la fonction, le principe et l’usage, nous dit Yen Chan, n’est pas la seule énigme intéressant le Chan, il y a aussi celle entre aller chercher et laisser venir, entre l’agir et la quiétude dong/jing, dichotomie que la pensée extrême-orientale n’a eu de cesse de tenter de concilier (comme dans le taoïsme, la question du rapport entre le fondement, les racines, ben et l’incident, le feuillage, mo). Nous voyons donc se dessiner une unique question sous diverses formes, par exemple la relation entre souverain et ministre, entre bouvier et buffle, entre oie et bouteille, unidualité qui se tient au sein même de notre être/conscience et dont la compréhension/réalisation est la clé du bon-heur. »
L’exégèse, pleine d’exigences subtiles, des quatre alternatives proposées par Nagarjuna, « jeu de cache-cache » autant que jeu de miroirs, ne permettent pas l’identification à un processus, maintiennent le paradoxe, conduisent à une simultanéité des opposés sans coïncidence rassurante, jusqu’à la saisie de l’intervalle, le « non-deux ».
Cet essai renvoie à la pratique, mais à une pratique vivifiée par l’étude. D’essence non-dualiste, il ne combat pas le dualisme ce qui serait une forme de dualisme désespéré mais au contraire l’absorbe, le digère tranquillement, avec la bonhommie de l’érudition. Fleurs de vacuité.
Source: La lettre du crocodile