Hocine Atrous, écrivain, poète, historien, spécialiste des sciences sociales, propose un regard renouvelé sur l’histoire de l’Algérie, affranchi des résidus idéologiques colonialistes qui continuent de polluer les relations franco-algériennes.
Son objectif est de nous faire saisir les mécanismes de domination et de désintégration mis en place par la France colonisatrice et au-delà les modèles d’asservissement toujours à l’œuvre partout où le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est bafoué.
Dans sa préface, le Cheihk Khaled Bentounes évoque l’indispensable « justice de l’Histoire, celle qui se construit à la lumière de la mémoire collective ».
C’est par l’axe des structures religieuses que Hocine Atrous aborde ce sujet très complexe. « La religion, nous dit-il, offre des opportunités pour légitimer le pouvoir colonial et sa politique en Algérie, ou bien pour faire face à des révoltes politiques, sociales ou nationalistes. »
Il s’appuie sur les travaux de Max Weber afin d’illustrer comment la politique coloniale a instrumentalisé l’islam en manipulant trois autorités, celle du prêtre (charisme de fonction), celle du sorcier (charisme traditionnel) celle du prophète (charisme de révélation) c’est-à-dire, concernant l’Algérie, aux saints de la tradition soufie et aux théologiens, oulémas, des institutions.
Hocine Atrous est conduit à analyser les relations entre les ordres soufis qui furent à l’origine des soulèvements contre la France coloniale et l’Association des Oulémas qui chercha à préserver l’identité musulmane. Les positions de ces deux forces hostiles au pouvoir colonial évoluèrent au fil du temps et des attaques, directes ou indirectes, pour les affaiblir, les contraindre, les diviser.
La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux relations entre religion et pouvoir politique avant 1925. La deuxième partie nous présente la tarîqa ‘Alawiyya fondée au début du XXème siècle par le cheïkh al-‘Alawi, ses maîtres, ses principes, ses valeurs, ses réalisations, ses positionnements face au pouvoir et aux institutions coloniaux. La troisième partie aborde l’histoire et les principes réformistes de l’Association des Oulémas algériens, fondée en 1931. Elle exprima des positions variées notamment en raison de ses composantes parmi lesquelles un courant wahhabite et le mouvement de Jamel al-Dîn al-Afghâni et Mohamed Abdaluh qui en appellent à l’éveil des consciences et des intelligences pour un renouveau du monde musulman. Cependant, les diverses tendances ou nuances se retrouvent dans trois piliers inscrits dans le slogan de l’association : « L’islam est notre religion, l’arabe est notre langue, l’Algérie est notre patrie. ».
Les « Principes et fondements de l’Association des Oulémas » constituent un « modèle idéal des Oulémas porteur d’un islam authentique ». Il se caractérise par la fraternité entre tous les êtres humains, l’appel à la bienfaisance, au partage et à l’unicité. Il précise les fondements d’un islam dégagé de pratiques considérées superstitieuses ou hérétiques (innovantes).
L’Association des Oulémas et la confrérie soufie ‘Alawiyya, partant de position différente, réforme de l’islam pour la première, valeurs traditionnelles soufies pour la seconde, se sont retrouvées dans la défense du peuple algérien, la réelle prise en compte des besoins de la jeunesse et des femmes, et la dénonciation des violences et injustices des institutions coloniales françaises qui en firent d’ailleurs des cibles privilégiées.
Au fil des pages, le lecteur découvre des institutions, des organisations, des mouvements, des journaux, ou encore des personnalités qui nous sont généralement inconnues, mais qui jouèrent un rôle important dans l’histoire algérienne du siècle dernier. C’est une part de la complexité de la sombre période coloniale en Algérie qui s’éclaire grâce à cette étude basée sur des faits historiques, des documents, témoignages et archives. C’est également une démonstration de la nécessité de se saisir du fait religieux pour comprendre les conflits et leurs évolutions.
Source: La Lettre du Crocodile