Après la publication de l’ouvrage Les racines du yoga du même auteur, associé à James Mallison, les Editions Almora poursuivent la publication de travaux de recherches essentiels qui remettent en cause nombre de croyances erronées sur l’origine, la construction ou le développement du ou des yogas. Pour rappel, Mark Singleton est enseignant-chercheur à l’Université de Londres, spécialisé sur l’histoire indienne et transnationale du hatha yoga.
Dans ce livre, Mark Singleton cherche à identifier l’introduction des postures dans le yoga moderne transnational et leur développement. Il note que les études font souvent l’impasse sur « la période où Vivekananda a proposé un programme de yoga dépourvu d'āsana au milieu des années 1890 ».
Dès le premier chapitre l’auteur met en évidence les différences entre les postures modernes du hatha yoga et celles préconisées dans les textes médiévaux.
Il est frappant de constater que le statut des yogis a considérablement varié selon les périodes. Ainsi, au début du XIXème siècle, une figure négative du yogi s’est construite à travers les études orientalistes et les premières traductions anglaises des textes indiens. Le hatha yoga a été réhabilité plus tard par les approches thérapeutiques. Les aléas, notamment économiques, de la vie de yogi, ont conduit certains vers le spectacle ce qui a renforcé le rejet des postures par des personnalités comme Vivekananda ou H.P. Blavatsky. Ceci explique l’absence de posture dans les premiers enseignements anglophones de yoga.
Mark Singleton analyse ensuite les rencontres entre les modèles de culture physique occidentaux et indiens. Dans la période coloniale, l’enjeu était clairement politique et visait à renforcer la domination anglaise. C’est au cours du siècle dernier que les postures ont été réintroduites mais dans une vision occidentale : « le nouveau corps yogique, explique l’auteur, est un corps qui a été entièrement façonné par les pratiques et les discours de la culture physique moderne, du milieu de la santé et de l’ésotérisme occidental ».
Autre particularité inattendue, les pratiques posturales modernes du hatha yoga ont été accompagnées par le développement de la photographie qui a favorisé son développement, occultant en même temps les caractéristiques traditionnelles du yoga.
Le dernier chapitre s’intéresse au travail yogique de T. Krishnamacharya dans les années 1930-1940 : « le style particulier de Krishnamacharya n’est pas aussi unique qu’on pourrait le croire : il est une solide synthèse de la culture physique occidentale et indienne, placée dans le contexte du hatha yoga « traditionnel ».
Les āsana ont donc été modelées, modifiées, réinterprétées en fonction de contextes culturels et historiques. La question des postures se trouve à la croisée de multiples influences dans une tension tantôt créatrice, tantôt réductrice, entre tradition et modernité. L’ouvrage clarifie la question et élargit considérablement le champ des disciplines nécessaires à la compréhension du phénomène. Il ne remet nullement en cause les aspects d’authenticité, de sincérité ou les compétences des différents acteurs orientaux ou occidentaux mais démontre la grande complexité et la richesse des influences à l’œuvre dans les différentes formes du hatha yoga au fil des temps et selon les lieux.