Sagesse éternelle de l’Hindouisme

David Frapet est Directeur en Histoire des Institutions de l’Université de Lyon 3. Il a publié de nombreux travaux de Théologie Comparée.

Son propos commence par un point sur les apports récents de la recherche archéologique. Une nouvelle hypothèse écartant celle d’une grande guerre entre aryas et dravidiens, aboutissant à l’extermination de ces derniers, devient très crédible. Ces deux peuples auraient longuement collaborés autour d’un grand fleuve qui aurait disparu en 1500 av J.C., provoquant des exodes massifs. Ces peuples, bâtisseurs de ville le long du fleuve, il y a 5000 ans, s’exprimaient en sanskrit, qui serait donc, en l’état actuel de la recherche, la langue la plus ancienne du monde.

L’auteur remet en cause avec raison l’appellation « Hindouisme », produit de la colonisation anglaise

– il préfère parler de Sanatana Dharma ou Sagesse Eternelle –, mais le conserve par commodité. Il met en avant la vision guénonienne d’une « Tradition-souche » qui serait l’Hindouisme, premier monothéisme.

L’ouvrage, dense, synthétique et très structuré, permet d’aborder de nombreux fondamentaux de ce courant protéiforme, les phases de la vie de l’homme, les cycles, le système dit de « castes », les grands axes doctrinaux, les textes de référence, les cosmogonies, les ternaires…

La première partie, la plus importante, est ainsi consacrée au corpus doctrinal, la seconde aux cosmogonies du Sanatana Dharma.

D’emblée, David Frapet rappelle l’importance de différencier SRUTI et SMIRTI :

« Le Corpus doctrinal de l’Hindouisme, voie spirituelle immémoriale, se répartit en deux catégories. La première catégorie rassemble les Védas, Testes Sacrés qui relèvent de la SRUTI (l’Audition), c’est-à-dire de la Verticalité de la Révélation. Le terme Veda, signifie Savoir, Connaissance Absolue. Les Lois de Manou – livre 11, sloka 263 – disent : « De même qu’une motte de terre jetée dans un grand lac y disparaît, de même tout acte coupable est submergé dans le triple Véda ».

La SMIRTI, second pilier du corpus doctrinal, est constituée d’un ensemble de Textes qui ont précisé, reformulé et retravaillé les données de la Sruti, tout en respectant toujours l’intangibilité et l’irréfutabilité de cette Sruti. La Smirti relève du plan horizontal de la Révélation, quand la Sruti en constitue le plan vertical. Le Véda (Sruti) exerce l’Autorité Première, et l’être humain inspiré (Smirti), l’autorité dérivée. »

Bien entendu, cette séparation, très dualiste, est contestable et d’ailleurs contestée, par les shivaïtes notamment. L’étude des textes permet d’y retrouver tous les grands mythèmes structurant les voies dites révélées. Des lectures très différentes des composés de ce corpus magistral peuvent être réalisées donnant lieu à des querelles nombreuses mais aussi à des jaillissements féconds. Exemple avec la Bhagavad Gîtâ :

« Notons avec grand intérêt que la Bhagavad Gîtâ est un Texte qui transcende les clivages théologiques, et les swamis impersonnalistes comme personnalistes, monistes ou dualistes, ont étudié la Gîtâ, l’ont commenté – certes chacun dans leur sens –, mais toujours en vénérant ce Texte fondateur. La Bhagavad Gîtâ est étudiée et méditée largement au-delà des cercles vishouïstes classiques… »

Dans la seconde partie, c’est avec beaucoup de prudence que David Frapet aborde les métaphysiques, très conscient des limites du langage. Et pour mieux comprendre, le processus créationnel, il commence par traiter de la Shakti et des différentes formes empruntées par le Culte de la Mère Divine.

Ces différentes métaphysiques diffèrent finalement par l’expression du rapport plus ou moins dualiste entretenu avec la Source tout en pointant toujours vers celle-ci :

« Contrairement à Shankara qui pense que le Différencié et l’Indifférencié sont deux Principes irréconciliables, Abhinavagupta, Grand Maître shivaïte du XIe siècle, professe que le Différencié et l’Indifférencié sont tout à fait complémentaires et propres à être manifestés « du fait que la [super] Conscience qui les renferme tous deux possède une totale liberté, cachant à Son gré l’un pour dévoiler l’autre, et vice versa ».

La doctrine shivaïte de la Reconnaissance, sans doute le fleuron des approches non-duelles, représentée notamment par Abhinavagupta, insiste sur la place de la Grâce :

« Toutefois, chez Abhinavagupta, aucune pratique n’est suffisante en elle-même pour acquérir la Sagesse, fût-elle assise sur les meilleurs intentions. Le moteur qui emmène jusqu’à la Connaissance de la Pure Lumière – et c’est Shiva Qui est pure Lumière – réside dans la Grâce. (…)

Convaincu qu’il est inconcevable de « vouloir atteindre » Shiva, le Cheminant renoncera même à vouloir parler de Chemin ou de Voie, puisque dans son esprit libéré de toute forme de dualité, tous les Chemins mènent à Shiva et sont contenus dans ParamaShiva, Qui est Le Tout. La Voie, c’est de prendre conscience qu’il n’y a pas de voie… »

Dans la conclusion de cet ouvrage très intéressant, David Frapet invite à dépasser les formes : « Le Sanatana Dharma se situe infiniment au-dessus des catégories philosophiques et mythologiques ; c’est une Métaphysique à vocation Universelle qui irrigue depuis les temps immémoriaux de la Révélation Védique, la Quête Spirituelle de l’Humanité Consciente. « Puissent tous les êtres dans tous les mondes être heureux et en Paix » est la prière védique par excellence. Lorsque les Rishis, les grands mystiques visionnaires enseignèrent le Dharma, ils ne voulaient pas enseigner une Religion. Pour eux, le Dharma était la réalité Ultime insusceptible d’appropriation, et ils répandaient la Vérité Universelle et Illimitée. C’est seulement lorsqu’il est conçu comme la Réalité Ultime que le Dharma transcende toutes les limitations, les oppositions, les communautarismes, les mesquineries théologiques de toutes sortes, les discordes ; et c’est alors qu’il vient substituer à la conscience humaine limitée, l’Immense Vision Divine illimitée. »

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