L’homme et les dieux de Jean-Charles Pichon

La rédaction de « L’histoire thématique de l’humanité » entreprise par Jean-Charles Pichon fut sans doute son œuvre maîtresse, une œuvre sans cesse à augmenter comme il le dit lui-même, nécessairement incomplète mais ô combien importante par la vision qu’elle confère au lecteur de sa place dans le temps et dans l’espace.

Beaucoup empruntèrent à ce livre sans le citer depuis sa première édition en 1965, de Louis Pauwels à Mircea Eliade (ce dernier puisa aussi beaucoup chez Lucian Blaga sans davantage le citer). Jean-Charles Pichon, en relevant le défi d’un travail réputé impossible, rendre compte de l’histoire globale de l’humanité et sa conception du religieux et du divin, a démontré tout l’intérêt de tenter l’impossible.

L’ouvrage commence et ce n’est pas anodin, par un développement sur « les deux flèches du temps », anticipant les conséquences de ce qui devient commun aujourd’hui à travers la notion de rétro-causalité pour s’affranchir d’un passé causal et d’une vision temporelle linéaire, ouvrant ainsi l’espace à la dynamique singulière des mythes.

L’ouvrage se présente de manière chronologique mais le discours relève de l’aïon, des manifestations spiralaires d’une extra-temporalité. Il pose les bases d’une théorie des cycles qui est l’une des constantes des approches traditionnelles, depuis « la nuit des temps ».

Jean-Charles Pichon traite ainsi des dieux paléolithiques, divinités mortes, dieux du Soleil, dieux du savoir, des âges légendaires avant d’aborder les temps historiques, l’âge de Ptolémée, les temps modernes et les temps nouveaux. Dans cette démarche et avant Gilbert Durand, il traque les fonctions de certains mythèmes à travers les temps comme la gémellité (qu’il désigne sous le vocable « gémité »), le paradis, la puissance serpentine, l’ordre, l’oeuf… ce qui permet de dessiner une configuration culturelle des croyances en fonction de la mesure d’intensité de l’adhésion au mythème ou au contraire du rejet du mythème. Apparaissent ainsi des ruptures et des sauts qualitatifs, dans le cheminement et le développement de ce que nous désignons aujourd’hui comme « mème » ou « réplicateurs ». Plus encore, cela permet d’interroger le sens de l’action d’un même qui pourrait prendre sa source non dans son origine mais dans sa finalité.

Nous sommes en présence de grandes forces coagulées par des constellations de mythèmes plus ou moins orientés ce qui conduit Jean-Charles Pichon à des analyses et des propositions d’une grande pertinence mais aussi étonnamment actuelles :

« Les mythes gémiques s’abolissent dans le monde entier au XVème siècle (fin de l’Empire Germanique, fin de Byzance, fin des Mayas) et la notion de Liberté est bientôt après combattue. Ces mythes renaissent trois siècles plus tard, dans les trois syncrétismes républicains, et la Liberté est l’un d’eux.

Des trois, il est probable que le mythe de Liberté sera le plus durable et le plus fort. L’Egalité ne survivra pas au dieu de Justice, dont le crépuscule est maintenant proche ; la Fraternité perdra sa puissance en même temps que les dieux d’Amour perdront la leur. Au contraire, le Génie de la Liberté accompagnera toujours le mythe de la Création – l’un des constituants du dieu futur. L’argument qu’on nous oppose ne peut donc être négligé : il a l’avenir pour lui. »

L’œuvre de Jean-Charles Pichon est visionnaire. En interrogeant à la fois notre expérience et notre action prises dans notre regard qui détermine notre conditionnement sur telle ou telle flèche du temps, c’est la question de la dualité et de l’affranchissement de celle-ci qu’il introduit. Que faire en effet de trois millions de dieux ?

« L’homme ferait-il la vie des dieux, nous dit-il, comme, en nous détruisant et en nous renouvelant, nos cellules font la nôtre ? Ou n’est-ce pas là qu’une illusion, une suprême ruse, pour me donner à croire que j’édicte à mon gré les règles qui me lient ? N’en serait-ce pas une, je suis encore perdant, car mon présent contient une possible Durée (par quoi je suis, peut-être, utile aux dieux), mais, à l’instant que je vis, le Possible est déjà le passé (par où, certainement, Ils me tiennent).

A cela, le Sage sourit. Et le Héros, le Mage, le Génie, le Juste et le Saint sourient de même. »

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