Mythes, thèmes et variations

Cet ouvrage étant encore disponible, nous nous permettons d’insister sur son intérêt. A une époque où les traditions de la planète, les corpus et les praxis sont aisément accessibles, de nouveaux outils sont nécessaires pour ne pas se perdre dans ce foisonnement.

Les méthodologies de l’anthropologie de l’imaginaire fondée par Gilbert Durand font partie de ces outils.

En rassemblant deux regards, l’un européen, l’autre chinois, pour analyser les mécanismes de l’imaginaire, la construction des mythes et surtout leurs glissements, dérivations et transformations, en distinguant les mythèmes et leurs fonctions, ce sont des structures qui apparaissent à travers les formes, structures stables sur lesquelles nous pouvons prendre appui.

Les dix études rassemblées portent sur des thèmes très variés qui visent non pas à cerner le sujet mais à se doter d’outils exploratoires.

« Dans la première partie de ce livre, annonce les auteurs : « Complexité et Subtilité de la matière mythique », nous avons insisté sur les motivations du changement du mythe : polysémie, donc « incertitude », de bien des objets symboliques, dérivations que précipitent les réceptions diverses des moments historiques, identités culturelles qui colorent de façon nuancée un symbole ou un mythe, fluctuations biographiques qui signent les « images obsédantes », diffusions d’un thème symbolique à travers des réceptions culturelles différentes. »

« La seconde partie : « Résonances universelles et échanges généralisés », revient aux « permanences », aux « résidus » dirait Pareto – de l’Imaginaire sous les deux modalités anthropologiques qu’elles permettent ; la résonance qui accorde sémantiquement un ensemble culturel dans un autre ensemble et l’échange généralisable de la symbolique. »

L’objectif est de repérer les mythèmes et leur orientation archétypale. Quand deux mythes de cultures très différentes comportent deux tiers de mythèmes communs, ils pointent vers le même archétype et en même temps, ils manifestent ce même archétype.

Gilbert et Chaoying Durand proposent des applications de cette anthropologie remarquable sur les thèmes du Graal, le vase et ce qu’il contient, la Fuite en Egypte, les divinités de la foudre, l’Âge d’Or…

Le grand intérêt de cette approche pour des individus engagés dans un parcours initiatique quel qu’il soit, comme l’avait si bien compris Lima de Freitas, ami et collaborateur des auteurs, est de permettre une compréhension de la fonction du mythe, qui modifie le modèle du monde, voire installe un nouveau paradigme, et des mythèmes, qui sont les véhicules des opérativités. Ainsi, nous pourrons reconnaître dans les différentes expressions culturelles du vase et de ce son contenu les fondements des alchimies internes mais pas seulement. L’absence d’un Graal prototype permet de maintenir vivant le mythe et de garantir son opérativité sur de multiples niveaux logiques qui peuvent s’enseigner les uns les autres.

« En résumé, confient les auteurs, et selon une vision des choses que redécouvre la physique la plus moderne (David Bohm) il ne faut surtout pas chercher à expliquer le Graal, mais se demander ce qu’implique le Graal dans la constellation toujours ouverte de ses apparitions. »

Le mythème prend sens différemment, non seulement selon le niveau logique mais selon le bassin sémantique. Nous sommes toujours immergés dans un bain de langue, le plus souvent inconsciemment. Pour naviguer sur l’océan de la langue et atteindre « l’île des bienheureux ou des immortels », c’est-à-dire un métasens, une axialité, nous devons établir un rapport conscient à la langue et à ses structures, miroirs des structures de l’imaginaire. Pour se faire des chercheurs aussi différents qu’Alfred Korzybscki, Georges Steiner ou Louis Boutard nous serons utiles.

Gilbert Durand fut un remarquable précurseur quand il établit son anthropologie de l’imaginaire et les règles de la mythanalyse. Il fut aussi un visionnaire car en ce nouveau millénaire, les mythes se déploient comme jamais, se renouvèlent et se mêlent, appelant une cartographie rigoureuse.

Source: La lettre du crocodile  

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