Le Sacre du Noir de Lauric Guillaud

Lauric Guillaud, professeur émérite de littérature et de civilisation américaines à l’Université d’Angers, est un spécialiste des imaginaires anglo-saxons et notamment de Lovecraft. Dans ce nouvel ouvrage, beau par sa forme et passionnant par son propos, il invite le lecteur à explorer l’imaginaire gothique et ses relations avec l’imaginaire maçonnique.

Lauric Guillaud ne s’est pas restreint à la littérature, ni à la culture nord-américaine et britannique, il a mis en place une véritable démarche interdisciplinaire, s’inscrivant même dans cette transdisciplinarité appelée de ses vœux par Gilbert Durand, et a recherché des matériaux dans

les cultures allemande et française. D’emblée, le lecteur se demandera quel peut bien être le lien entre le gothique et la Franc-maçonnerie. Lauric Guillaud met au jour pour la première fois des terreaux, des influences, des croisements improbables qui ont pu irriguer certains aspects de l’imaginaire maçonnique.

« Nous verrons d’abord, annonce Lauric Guillaud, les grandes tendances du gothique avant de les mettre en perspective avec certains rituels maçonniques. Nous vérifierons enfin cette double influence sur les productions contemporaines. A l’ombre des colonnes, nous découvrirons l’effroi délicieux du romantisme noir ; à l’ombre des cachots et des souterrains gothiques, nous découvrirons les mystères de la Franc-maçonnerie. »

Lauric Guillaud commence ce voyage imaginaire, parfois imaginal, dans l’Angleterre des débuts du XVIIIème siècle, un siècle où prolifèrent les clubs les plus divers et les sociétés plus ou moins secrètes. Nous découvrons les Hell-Fire Clubs, réceptacles d’anciens cultes, de pratiques libertines ou de défis divers. Le premier de ces clubs, transgressif, anti-religieux, libertaire fut fondé à Londres en 1719 par le duc de Wharton. Il accueille femmes et hommes sur un pied d’égalité. Ce nouvel égalitarisme réservé contribuera plus tard à faire évoluer les pratiques dans la société anglaise et tardivement dans la Franc-maçonnerie. Les Hell-Fire Clubs se développeront sous des formes et avec des objectifs très divers allant de la société savante aux cérémonies sexuelles pseudo-satanistes, en passant par les très nombreux rites paramaçonniques qui animent la scène ésotérique britannique. Progressivement, ces groupes quittent les tavernes pour la clandestinité. L’expérience des Hell-Fire Clubs semble caractériser cette période de transition et de confusion pendant laquelle la religion perd de son influence sous les avancées de la science, la pensée rationnelle se développe, et les pouvoirs se déplacent.

« Ainsi, nous dit Lauric Guillaud, coexistaient les perspectives progressistes reflétées par les philosophes des Lumières et la fascination durable pour les pratiques rituelles dont l’origine se perdait dans la nuit des temps (cultes païens, druidisme, rosicrucianisme, etc.). » Dans cette tension entre ombre et lumière, entre ville et nature, entre progrès et régression, entre conformisme et excès, de nouvelles créativités vont apparaître qui influenceront aussi bien les arts que la pensée, initiatique ou profane. Dès le siècle précédent, la mélancolie annonce le romantisme, noir puis gothique. La rupture des Lumières avec les sociétés traditionnelles est violente et suscite un mal-être sociétal, des résistances et des résurgences de pratiques anciennes plus ou moins comprises.

Lauric Guillaud analyse divers aspects de ce vaste mouvement de transformation complexe : Y-a-t-il eu un proto-gothique américain ? Comment se sont développées les sociétés secrètes gothiques, quelles questions pose le Frankenstein de Mary Shelley ? Qu’est-ce qui caractérise l’initiation gothique ?

La seconde entrée de l’ouvrage est donc maçonnique et débute par une recherche sur l’impact littéraire et artistique de la Franc-maçonnerie. L’un des ponts entre l’imaginaire maçonnique et l’imaginaire gothique se trouve dans leurs approches respectives de l’architecture et de l’archéologie.

« Pourquoi, interroge Lauric Guillaud, le roman « maçonnique » se présente-t-il comme une extension culturelle d’une pratique circonscrite à la Loge ? Sans doute parce que l’imaginaire du romantisme dit « noir » a été exacerbé par des notions purement maçonniques comme le lieu clos (reflet de la Loge), l’obligation du secret, les oppositions ténèbres/lumière, rejet/admission, soleil/Lune et surtout vie/mort. C’est l’initiation qui cimente ces notions en les incorporant dans des rituels proches du psychodrame. »

Au fil des pages, à travers les très nombreux extraits ou références, apparaît au lecteur une « étroite parenté de plusieurs textes gothiques et de certains rituels maçonniques marqués par le goût du noir et du cérémonial ». Cette attirance vers l’obscur et la nuit est cependant associée à une orientation vers un « centre », un axe, à une recherche de verticalité. Il s’agit de rester dans l’ombre pour mieux trouver la lumière. Il existe une dimension initiatique propre à l’originalité et la liberté du courant gothique qui trouve un reflet, parfois une réponse dans l’imaginaire maçonnique.

Un livre à ne pas manquer pour son originalité et la richesse de son contenu.

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