Propos d’Orateur de Claude Gilbert

La fonction d’orateur est l’une des plus difficiles qui soit. D’un rite à l’autre, d’une loge à l’autre au sein d’un même rite, elle connaît un positionnement fort variable, allant de l’accessoire à l’essentiel. L’orateur est chargé de synthétiser les travaux et échanges, présentés ou tenus en loge afin de dégager les lignes de force, d’inscrire le travail dans le projet global de recherches de la loge et éventuellement de proposer quelques ouvertures. C’est une fonction importante trop souvent négligée.

Dans l’avant-propos, l’auteur rappelle la mission de l’orateur telle que définie au Régime Ecossais Ancien et Accepté du Grand orient de France, au moment de la prise de serment auprès du Vénérable Maître, lors de l’installation du collège d’officiers : « Vous représentez la conscience de la loge. Vous devez connaître la Tradition de l’Ordre, les règles du Grand Orient de France, et le règlement particulier de votre respectable atelier. Vous êtes chargé d’en rappeler et même d’en requérir l’observance. Votre rôle est, en outre, après que j’aurais résumé les débats, de présenter vos conclusions, sur lesquelles les frères auront à se prononcer.

Promettez-vous d’éclairer nos décisions, en vous inspirant toujours de la plus stricte objectivité et des principes traditionnels de la Franc-maçonnerie ? » Trop souvent, n’est retenu de la mission que le rappel à la règle or, le symbole du sautoir que porte l’orateur, le soleil rayonnant, invite à une toute autre dimension : « donner la substantifique moelle des travaux du jour ». C’est une mission éminemment spirituelle puisque la parole de l’orateur étant la dernière, le message qu’elle porte accompagnera les membres de la loge dès la sortie du temple. L’auteur reprend dans ce livre les conclusions qu’il a délivrées au cours de sept années d’office. L’ensemble constitue une belle nourriture spirituelle susceptible d’inspirer les orateurs mais aussi tous les membres de l’Ordre maçonnique qui veulent faire de leurs mots une parole rayonnante ou inspirante.

Claude Gilbert a organisé son ouvrage en plusieurs thèmes : l’initiation – autour de l’Apprenti – autour du Compagnon, autour du Maître, la Loge de Saint-Jean et le rituel, le Franc-maçon et le monde – le chemin initiatique… Les sujets traités vont des nombres aux trois grandes lumières en passant par les décors, les éléments mais aussi des sujets plus philosophiques ou métaphysiques comme la paix, l’être ou la révélation. La matière est aussi riche que variée et le principe de condensation de la pensée permet des incisions salutaires par lesquelles se glisse la lumière maçonnique.

Exemple à propos de la conception de l’ange chez Henry Corbin. Après avoir introduit le sujet présenté et débattu,

l’orateur questionne ainsi :

« - Noosphère, égrégore, les pensées sont-elles une énergie agissante ?

- Nos pensées seraient-elles recueillies par les anges pour être transportées, transformées, retournées ?

- Les anges sont-ils ces intermédiaires nécessaires entre l’humain et l’absolu infini ?

- L’ange serait-il un reflet de l’être intérieur de l’homme, produit par son imaginaire ?

Si oui, il faudra traverser l’ange pour accéder à l’Être, il faudra le dépasser. Si nous ne le faisions pas, nous resterions prisonniers de la Manifestation, fût-elle subtile, ce que l’on appelle parfois « le monde spirituel », domaine du Verdoyant, étape indispensable du chemin de libération, certes, néanmoins étape et non but. L’ange est la forme la plus subtile de la Vie, mais forme encore, avant le vrai et grand Mystère de l’Être. »

Nous voyons la force des mots de l’orateur, la dimension à la fois opérative et métaphysique de ses conclusions. Nous pouvons imaginer la réception de cette parole par les membres de la loge pour peu qu’ils soient réellement à l’écoute. Ce qui a été travaillé dans la parenthèse du rituel peut se prolonger et s’épanouir dans la méditation et soutenir, accompagner, le procès initiatique, permettre le passage de la parole à la Parole :

« Inépuisable dans sa plénitude, nous dit encore l’auteur, la parole, ou plutôt des bribes de la Parole naissent de cette expérience et vont nourrir les Frères. A leur tour, ils font circuler et enrichissent cette nourriture qui est aussi un salaire ; nous le recevons en Beith, « la Maison », après le dépouillement, l’abandon de tout ce qui encombre.

Et ce que nous faisons sera le reflet de ce que nous sommes, nous qui sommes dans le Temple autant que nous sommes le Temple. »

Inspirés et inspirants, les propos de l’orateur constituent un composant fondamental du processus initiatique maçonnique. Cet ouvrage est une opportunité de se réapproprier un usage et une tradition nécessaires.

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