La langue des oiseaux Raymond Roussel

Richard Khaitzine nous a quittés prématurément après avoir remis ce manuscrit à l’éditeur en l’avertissant de son état de santé et de sa volonté de compléter quelques points de l’ouvrage, s’il en avait le temps.

Ce dernier travail n’est pas seulement important parce qu’il est le dernier que nous laisse Richard, il l’est, essentiellement, parce qu’en mettant à nu la méthode d’écriture de Raymond Roussel, il éclaire aussi ses propres méthodes de travail et d’exploration de la langue.

Si Roussel éleva la culture du secret au niveau du grand art, nous dit Richard Khaitzine, lui-même s’affirme une fois de plus comme un maître de la langue des oiseaux, langue sans laquelle l’alchimie demeure inaccessible et la poésie hermétiste stérile.

La belle rencontre avec Raymond Roussel est forte. Renversante très exactement puisque Richard, par la lecture audacieuse qu’il fait de l’œuvre de Raymond Roussel que d’aucuns considèrent comme un « raté » littéraire, lecture guidée par Roussel lui-même qu’il aura ainsi « entendu », nous amène à revisiter l’œuvre sous l’angle de l’alchimie.

Ce livre, de près de cinq cents pages, n’est pas seulement consacré à Raymond Roussel. Il fourmille d’informations, d’anecdotes, de comptes rendus sur les milieux littéraires, artistiques ou initiatiques de l’époque, des époques, traversées par Roussel. Nous voyons vivre sous sa plume les cercles ou les lieux dont l’influence fut certaine pour quelques-uns, fugace pour d’autres. D’André Breton à Eugène Canseliet, de Dominique Aury à Robert Amadou, nous croisons tous ces personnages qui nous ont intéressés, troublés, enseignés au cours du siècle dernier. Le spectre des microcosmes explorés par Richard Khaitzine va ainsi des protagonistes de l’affaire Fulcanelli à ceux d’Histoire d’O en passant par les amis d’Arsène Lupin ou nos amis 'pataphysiciens et il n’y a là rien d’incongru, démontre-t-il.

Les écrits de Raymond Roussel font souvent référence de manière voilée aux ouvrages de Fulcanelli, qu’il n’était pas censé connaître, ou aux contenus alchimiques de ces ouvrages. Il semble orienter à plusieurs reprises ses lecteurs suffisamment sagaces vers ces travaux. Toute l’œuvre de Raymond Roussel, sa vie elle-même, jusqu’à « mourir à Palerme », semble un chaînage multiple de métaphores et de mythes, de jeux de mots et d’images révélatrices destiné à éveiller.

Le procédé de Raymond Roussel, comme le procédé de Richard Khaitzine, ne relèvent pas d’une logique aristotélicienne. Il serait vain d’en discuter avec quiconque est incapable de s’extraire de chronos et des causes-effets linéaires. Nous pénétrons dans le monde du songe qui fait se fondre « sacré et « secret », où l’agencement des mots et des images conduit à l’Imaginal.

Il nous reste à remercier Richard d’avoir déposé ce trésor sous notre regard, la langue. Nous croyons vivre dans le monde alors que nous vivons dans la langue. En renouvelant totalement notre rapport à la langue c’est notre rapport au monde qui se rétablit en sa liberté première.

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