L’Ecole Secrète de Sagesse

Il convient de saluer l’éditeur et le traducteur, Lionel Duvoy, pour cet ouvrage de référence, le seul en son domaine. Alors que les Illuminati sont devenus l’os à ronger préféré des complotistes de tout poil, les véritables Illuminati de Bavière du XVIIIème siècle et leur projet humaniste et sociétal sont passablement oubliés alors que leurs messages et leurs ambitions citoyennes sont encore largement d’actualité en leurs principes.

La publication des matériaux de l’ordre et notamment des rituels permet au lecteur de comprendre le projet de ce groupe qui n’aura eu qu’une douzaine d’années d’existence avant d’être interdit et détruit en 1785, pour s’inscrire progressivement à la fois dans l’imaginaire initiatique et dans l’imaginaire complotiste.

L’autre intérêt de ce livre très complet est l’étude du processus de mise en place d’un ordre à vocation initiatique. En effet, le système et les rituels s’élaborèrent et évoluèrent constamment même si l’ensemble présente une cohérence certaine. Cet ordre de structure maçonnique, sans être maçonnique, conçu et développé par deux personnalités, Adam Weishaupt, dont le nom est souvent retenu comme celui du fondateur, et le baron Adolph von Knigge, moins connu mais sans doute aussi déterminant, est formé de trois classes : classe minervale, classe maçonnique, classe des Mystères, petits et grands, chacune présentant divers degrés. Chaque degré propose des instructions précises introduisant à certains aspects de la doctrine des Illuminati. Si les influences et les apports sont multiples, allant de l’expérience personnelle à la philosophie antique en passant par des travaux scientifiques de l’époque. Si l’ordre se rattache au principe d’une Tradition unique s’exprimant sous diverses doctrines et écoles de sagesse plus ou moins élaborées et adaptées à leurs contextes, certains traits sont spécifiés chez les Illuminati comme le principe d’une nature favorable de fait à l’évolution humaine et avec qui nous pouvons et devons faire alliance. La doctrine globale de l’ordre est présentée de manière approfondie seulement dans les deux derniers degrés de l’ordre, elle n’est pas assénée mais invite au questionnement et à l’observation de la nature :

« Où tout cela mène-t-il ? – A quelle finalité la nature travaille-t-elle ? – A quelle fin tous les besoins et toute l’activité humaine ? – Le présent est-il lié au passé, et les deux le sont-ils au futur ? Tous les événements du monde convergent-ils vers un point unique ? Où sont-ce des faits isolés ? – Si tout est développement, d’après quelles lois la nature se développe-t-elle ? »

Si la possibilité d’une connaissance suprême, d’une connaissance ontologique est posée, c’est par l’expérimentation, l’observation, l’analyse que les vérités relatives qui y conduisent, ou la construisent, s’explorent ou s’édifient. La doctrine de l’ordre allie la reconnaissance de chacun comme absolument unique dans sa perception et son interprétation du monde afin de favoriser une fraternité qui naîtrait de la reconnaissance de tout ce qui se présente comme une étape vers une fin supérieure dont nous pouvons avoir le pressentiment sinon la connaissance.

Il y a dans cette doctrine l’idée du choix possible. Si tout n’est que point de vue, si tout n’est que relatif, nous pouvons déterminer par choix, le point de vue le plus favorable à tous. L’ordre rend à tous la responsabilité du choix d’une plus grande humanité et de la réduction des inégalités. Il y a là une dimension évidemment politique qui ne pouvait qu’attirer les foudres des autorités :

« Puisqu’il y aura un grand nombre d’hommes tandis que les richesses de la terre ne sont pas inépuisables, un seul homme ne pourra pas continuer à consommer le travail d’une vingtaine. Tempérance, frugalité et modération devront devenir les mœurs générales des hommes. Elles apportent indépendance, l’abstinence des biens d’autrui, la paix et la moralité générales au monde. Par la subsistance modérée et un travail mesuré, les besoins de l’esprit, par peur de l’ennui, deviendront plus généraux, plus pressants et plus fréquents. La terre entière deviendra un jardin, et la nature aura achevé son œuvre ici-bas. Avec la plus grande population possible, elle aboutira aux lumières, à la paix et à la félicité perpétuelles. Elle aura consacré chaque homme en tant que son juge, prêtre et roi. Elle aura fait une réalité du roman si longtemps moqué de l’Âge d’Or, de cette antique idée maîtresse de l’espèce humaine, en abolissant imperceptiblement cette éternelle inégalité des biens qui a été combattue par tous les législateurs mais qui s’insinue encore et toujours : cette source de tout déclin, de tout Etat, de l’esclavage, de la tyrannie, de la discorde entre les hommes, de la vénalité et de la corruption des mœurs, la rendant à jamais impossible grâce à l’immense prolifération humaine. »

Nous voyons toute l’actualité de l’utopie créatrice des Illuminati. Leur doctrine se révèle très visionnaire. Ils annoncent les expériences de décroissance ou de permaculture d’aujourd’hui.

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