Cette bibliographie remarquablement documentée, illustrée et commentée passionnera tous ceux qui s’intéressent à la science-fiction. Cet écrivain maudit, né en 1929, une année maudite elle aussi, à force d’acharnement, réussit à lever partiellement la malédiction et à créer une brèche dans les conformismes épais des périodes qu’il a traversées. Si son œuvre s’inscrit dans la science-fiction, c’est de manière très originale, inattendue. L’érotisme, un « fantastique interne », une exploration apparemment chaotique mais maîtrisée de la psyché, le symbolisme, une politique libertaire… vivifient son écriture.
André Ruellan décrypte, dans un texte introductif, le parcours d’auteur de Philippe Curval à travers son « langage perpendiculaire » :
Ces chemins tour à tour empruntés dans la recherche de soi et de l’univers extérieur, Curval les suit selon l’itinéraire tâtonnant auquel chacun obéit selon son caractère, son humeur, et l’ordre d’urgence de ses questions. Mais lorsqu’on lit tout ce qu’il a écrit jusqu’ici, on s’aperçoit que le récit de ses découvertes est porté par un langage en constant remaniement. C’est que, bien sûr, existe un feed-back entre la pensée et le verbe, que l’une affirme l’autre, et que celui-ci précise la première en lui donnant une plus grande profondeur.
Ce mouvement est perceptible dans le recueil qui suit, mais il faut lire Cette chère humanité pour s’en rendre pleinement compte. Curval parvient dans ce roman à une maîtrise de la tête et de la main qui lui permet de communiquer à volonté des idées encore en germe dans les ouvrages précédents. Il atteint là une étonnante invention, aux lointaines implications, servie par un style qu’il a dépouillé de toute guirlande superflue, sans le priver de son souffle. La maturité de cet ouvrage prouve qu’on peut refuser la naissance pendant des années, mais que les grossesses vraiment prolongées donnent naissance à des bébés adultes. »
L’ouvrage propose une chronologie des romans et recueil avec de nombreux articles, des extraits, des couvertures, de nombreuses photographies qui racontent une vie d’auteur. C’est un travail très complet qui peut satisfaire les familiers de l’auteur mais aussi ceux qui le découvrent.
La qualité littéraire des écrits de Philippe Curval véhicule des idées qui dérangent, interrogent, révoltent, font penser. Il ne s’agit pas d’une SF qui se déroule sans surprise ou qui détend le lecteur. Tout au contraire, Philippe Curval veut maintenir éveiller un lecteur endormi dans le lit des pensées conformes. Il y a beaucoup de solitude dans l’univers curvalien et peu d’espoirs. Mais il y a chez lui une sorte de grâce de la gravité et de l’inéluctable. Les dissonances curvaliennes sont salutaires.