T.K.V. Desikachar est le quatrième fils de T. Krishnamacharya dont l’œuvre est essentielle. La lignée qu’ils représentent a su adapter le yoga à l’Occident et à la modernité sans rien abandonner de l’esprit et de la rigueur originels de la pratique. Fortement inscrit dans la tradition des Yogasûtra de Patanjali, l’enseignement rassemblé dans ce livre fut longtemps réservé aux seuls pratiquants, allie technicité et compassion, alterne avec pertinence théorie et pratique.

Beaucoup de concepts fondamentaux sont définis avec précision dans ces pages, toujours en relation avec la pratique et la pratique est toujours abordée dans le cadre de l’esprit. Il n’y a finalement aucune différence entre posture et esprit pour une conscience non-duelle.
Voici deux extraits, parmi tant d’autres qui auraient pu être choisis, qui illustrent parfaitement l’intérêt du livre, indépendamment de sa valeur technique et pédagogique.
« Dans le samâdhi, la compréhension est tellement instantanée qu’on n’a plus à penser, contrairement à ce qui se passe dans dhyâna. Le premier chapitre des Yogasûtra explique la manière dont le samâdhi arrive. Dans un premier temps on réfléchit : « C’est peut-être comme ceci, c’est peut-être comme cela. » C’est ce que l’on appelle vitarka, qui s’appuie beaucoup sur le raisonnement, la logique. Ensuite, vitarka s’arrête parce qu’on ne peut pas continuellement hésiter ainsi. Alors, on réfléchit. On pense un peu plus calmement ; c’est ce que l’on nomme le vicâra. Au fur et à mesure que cette réflexion s’affine, asmitâ samâdhi survient. Asmitâ signifie ici que deux choses séparées se réunissent. C’est le sentiment : « je fais corps – ou je suis devenu un - avec cela. » Alors la compréhension a lieu. C’est à ce moment-là qu’on ressent un bonheur béatifique ; ce que l’on appelle ânanda. On sent que l’on a enfin compris ce que l’on voulait comprendre. En fait ânanda précède asmitâ dans les sûtra mais ils sont identiques. Ânanda, c’est l’expression de l’expérience de l’asmitâ samâdhi. Ici, asmitâ se réfère à l’union de l’esprit et de l’objet de méditation. C’est le processus du samâdhi. Il y a d’abord une oscillation mentale. Ensuite la logique superficielle s’apaise. Le processus s’intériorise, s’approfondit et se raffine. Lorsque la réflexion est devenue très subtile, on arrive au point où l’on sait qu’on a compris. Il n’y a plus aucune hésitation. L’effet qui en résulte, c’est l’état d’ânanda. (…)
« - Lorsqu’on est dans un état de samâdhi permanent jusqu’à quel point est-on concerné par le monde ?
- Cette question me conduit au sujet dont je veux parler maintenant, le kaivalya. Le mot vient de la racine kevala, « être seul ». On le traduit souvent par « isolement ». L’état de kaivalya est celui dans lequel quelqu’un est tellement capable de comprendre le monde qu’il devient solitaire en ce sens qu’il n’est plus influencé par le monde bien qu’il soit lui-même capable de l’influencer. On dit souvent par erreur que quelqu’un dans cet état ne fonctionne pas normalement. En fait toutes ses facultés mentales sont intactes, il se conduit exactement comme par le passé mais il a cessé de porter le monde sur ses épaules. Tout ce qui le perturbait auparavant ne le dérange plus. Il vit dans le monde tout en étant libéré du monde. Mais il n’est pas privé de ses perceptions sensorielles ni de son corps. Il a simplement changé. Sa démarche est assurée quelles que soient les circonstances. Le kaivalya, c’est cela. Les forces extérieurs ne l’influencent plus du tout. Mais il connaît le monde extérieur. Le kaivalya, c’est l’effet le plus achevé du samâdhi sur quelqu’un. »
Le yoga nous apparaît comme une science subtile de l’intervalle.

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